Suivez l'actualité du secteur en temps réel !
Inscrivez-vous à notre newsletter

Je deviens membre

Un franchisé peut-il produire en justice un enregistrement d’une conversation avec les représentants du franchiseur, obtenu à son insu ?

Un franchisé peut-il produire en justice un enregistrement d’une conversation avec les représentants du franchiseur, obtenu à son insu ?

Pierre Demolin

Les relations entre franchiseur et franchisés peuvent être caractérisées par la déloyauté ou la mauvaise foi d’une partie et l’exploitation abusive d’une position dominante. De tels comportements sont difficilement rapportables. Le franchisé se retrouve alors dans une situation dans laquelle il ne parvient plus à se défendre en justice par manque de preuve.
Il est commun d’estimer que l’enregistrement d’une conversation obtenue à l’insu de son interlocuteur ne pourrait être produite valablement en justice.

Il y a pourtant lieu de relativiser cette théorie. La production d’une preuve irrégulière n’est pas automatiquement écartée des débats. Elle impose au Juge à qui elle est soumise de résoudre le conflit de valeur entre l’irrégularité en vertu de laquelle la preuve est recueillie et le droit du justiciable de faire valoir ses moyens de défense.

Dans un premier temps, il reviendrait au Juge de constater l’irrégularité de la preuve. En l’espèce, il s’agit d’une conversation recueillie à l’insu de son interlocuteur. La preuve est donc irrégulière car elle viole le dispositif de la loi sur le respect de la vie privée.

Dans un second temps, le Juge serait contraint d’apprécier si la violation de la norme est proportionnée par rapport au but recherché. En d’autres termes, il s’agirait d’analyser si le but recherché par la production de l’enregistrement justifie l’ingérence dans la vie « privée » / professionnelle de l’interlocuteur. A cet égard, une importante jurisprudence distingue la vie privée de la vie professionnelle et soutient un seuil d’ingérence considérablement plus élevé, voir inexistant lorsqu’il s’agit d’une conversation professionnelle [1].  
Le Juge sera également plus enclin à accepter une preuve irrégulière lorsque celle-ci ne pourrait être apportée d’une autre manière [2].
Pour finir, une preuve irrégulière sera plus susceptible d’être acceptée lorsque sa production renforce d’autres pièces régulièrement produites aux débats [3].

La Cour de Cassation a statué sur la question en confirmant ce courant jurisprudentiel. Dans son arrêt de principe du 10 mars 2008, elle dispose qu’une preuve irrégulière ne peut être écartée des débats qu’à trois conditions exhaustives :

I. La violation d’une formalité prescrite à peine de nullité. Pour le savoir, il y a lieu de regarder le dispositif de la norme violée.

II. L’atteinte à la fiabilité de la preuve. A titre d’illustration, l’enregistrement irrégulier ne doit pas rapporter une conversation provoquée dans l’unique but d’obtenir la preuve recherchée [4].

III. L’atteinte au droit à un procès équitable. Pour constater que la procédure est équitable, il suffit que les parties aient eu l’occasion de contester de débattre utilement et de manière efficace la preuve devant le Juge.

Pour conclure, le fait qu’un enregistrement soit déloyal ne justifiera pas son écartement. Il sera même probablement accepté par le Juge si l’acte déloyal est proportionné par rapport au but recherché.

 

Pierre Demolin                                                               Corentin Barthélemy
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris                         Avocat au barreau de Mons

 

[1] Trib. travail Liège, 27 novembre 2018, RG n° 17/4153/A, p. 15/21

[2] Gent (12ek.), 6 septembre 2006, D.A.O.R., 2007/83, p. 326

[3] Trib. Fam. Namur, div. Namur (3e ch.), 14 février 2018, J.T., 2018, p. 377

[4] Gent (12ek.), 6 septembre 2006, D.A.O.R., 2007/83, p. 326