Pour Benoît Barbier, gérant indépendant du Delhaize de Bouffioulx, l’avenir du commerce alimentaire passe par la proximité, l’engagement terrain et la confiance des communautés locales.
Issu d’une famille d’indépendants, Benoît Barbier a grandi dans un environnement où l’esprit d’entreprise allait de soi. Son père, actif dans la réfection de café, lui transmet tôt le goût des logiques commerciales concrètes. «Très vite, j’ai été confronté à la réalité de produire, vendre, prendre une marge, réinvestir. À 12-13 ans, j’étais déjà fasciné par cette mécanique.»
Curieux de comprendre les rouages économiques plus en profondeur, il s’oriente vers les sciences économiques appliquées à Louvain-la-Neuve. «Je voulais mettre des mots sur ce que j’avais intuitivement perçu très jeune.» À sa sortie d’université, il refuse les grandes maisons de consultance. «Deloitte, KPMG, c’était à la mode. Mais moi, je ne sentais pas le côté pragmatique. Et je voulais rester un acteur local.»
En 2002, il intègre Delhaize comme candidat Directeur. À 23 ans, il prend son premier magasin en charge. «Je voyais ça comme une école. Si je devais faire mes premières erreurs, autant que ce soit en étant encadré par une grande entreprise.» Après quatre ans à ce poste, il devient District Manager, puis Responsable du Développement de la formule Proxy pour Bruxelles et la Wallonie. «Je ne l’ai pas toujours demandé, mais j’ai toujours saisi les opportunités comme des occasions d’apprentissage »
Fort de cette expérience de plus de vingt ans, tant dans les modèles intégrés qu’affiliés, il ressent le besoin d’un changement. «J’avais fait le tour en tant que salarié. J’avais envie d’être maître à bord.» Lorsque Delhaize décide de céder certains magasins, il se lance, et c’est ainsi qu’en octobre 2023, il reprend le Delhaize de Bouffioulx en tant qu’indépendant.
Se lancer en tant qu’indépendant, même avec de l’expérience, reste un bouleversement.
« Il faut avoir encore plus d’humilité. Vous êtes vulnérable, car vous n’avez plus de filet. Vous vous demandez si les clients vont suivre, si les employés vont s’adapter.» Il confie avoir anticipé bien des scénarios, y compris les plus extrêmes : «J’avais même pensé à contacter mon assureur pour des dégradations sur la façade. On remet tout en question, même chez soi.»
Très vite, l’accueil des communautés locales dépasse ses attentes. « Les retours des clubs sportifs, des communes, des associations sont incroyables. On a vraiment recruté comme ça.» Ce lien humain est, selon lui, central.
Au sein de l’équipe, l’adaptation est plus nuancée. «Nombre de mes employés ont compris qu’ils faisaient désormais partie d’un commerce indépendant. D’autres non. Et ils ne le feront pas.» Malgré ces défis, le bilan est positif. «Financièrement, je suis là où je dois être. Je ne suis pas à plaindre. Et moi, c’est le lien local et les fournisseurs de la région qui me donnent de l’énergie.»
Pour Benoît Barbier, le commerce de demain ne peut se concevoir sans un ancrage territorial fort. «Penser qu’on va cartonner dans son premier magasin, s'il se trouve à plus de 40 kilomètres de chez soi, c’est une utopie. Je pense qu’il faut s’inscrire et comprendre les attentes de la communauté. C’est une condition sine qua non.» À ses yeux, un point de vente ne peut réussir que s’il devient un repère local, un lieu de confiance et de lien. «On n’a pas attendu Benoît Barbier et son magasin à Bouffioulx pour s’acheter à manger dans le coin. Il faut aller chercher les clients. Il faut se rendre visible, participer à la vie locale, être là physiquement.»
Son approche repose sur une conviction simple : c’est la présence du gérant sur le terrain qui crée l’attachement. «Les gens ne viennent pas juste faire leurs courses. Ils viennent chez quelqu’un qu’ils ont vu au tournoi de foot du coin, à une brocante ou derrière une caisse.» Il insiste sur la différence entre une enseigne impersonnelle et un magasin incarné. «On ne choisit pas uniquement un lieu d’achat rationnel. On choisit aussi une relation, une figure familière.»
Il croit aussi profondément à la valeur du service. «La centralisation des produits, l’élargissement des horaires, une boisson fraîche prête à être prise dans le frigo : tout ça, c’est du service. Et le service, c’est plus fort que le prix.» Selon lui, cette attention portée aux détails concrets fait toute la différence. «On me dit souvent : chez vous, c’est agréable, ce ne sont pas des formulaires à remplir si on a une demande. Non, ici, les gens téléphonent, et je prends la commande à la main. C’est du contact humain. »
Il défend une distribution qui replace le commerçant au cœur du dispositif. «Ce sont ces gestes-là, cette accessibilité, cette souplesse, qui fidélisent. C’est aussi ça qui fait qu’un client accepte de payer 30 ou 50 cents de plus, parce qu’il se sent reconnu.» Ce rapport de proximité, il le revendique aussi dans sa relation avec l’enseigne. «Delhaize a compris l’importance d’associer la marque à un visage sur le terrain. C’est ce qui touche la fibre sensible du client.»
À ses yeux, un bon franchisé est d’abord quelqu’un qui comprend et incarne cette dimension émotionnelle. «Si tu n’aimes pas tes clients, ça se sent tout de suite. Et si tu ne fais pas partie du tissu local, tu passes à côté de l’essentiel.»
Il applaudit enfin le rôle fort d’Aplsia pour la défense des indépendants tels que lui :«Il faut une voix différente, un contre-pouvoir, quelqu’un qui éclaire les relations autrement.» Dans un secteur où les grands groupes tendent à se concentrer et à uniformiser leurs pratiques, il juge essentiel que les franchisés soient représentés par une structure capable de faire entendre leur réalité du terrain.
« Le monde de la grande distribution va se consolider, c’est certain. Et dans ce contexte, Aplsia doit rappeler aux franchiseurs ce qu’ils ont en portefeuille : des indépendants, avec des profils variés, des réalités différentes, mais essentiels à la performance de l’enseigne.»