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Quel avenir pour les supermarchés 100 % online en Belgique ?

Catégorie

Actualité

Publication

13/02/2024

Quel avenir pour les supermarchés 100 % online en Belgique ?

En août dernier, on apprenait que le supermarché en ligne néerlandais Crisp avait clôturé son premier exercice financier en Belgique sur une perte nette de 188.581 euros, pour un chiffre d’affaires avoisinant les 3,7 millions. En outre, l’enseigne 100 % online se révélait également être déficitaire sur son marché domestique.

Même si ces résultats ne semblent pas avoir inquiété outre mesure les investisseurs, qui ont encore très récemment injecté 35 millions d’euros supplémentaires dans la société, ils interpellent néanmoins. Et ce, d’autant plus que son concurrent belge Rayon, qui fait pourtant partie du groupe Smartmat soutenu par Colruyt, a lui carrément mis la clé sous la porte à la fin du mois d’octobre. Une décision similaire à celle prise au printemps 2023 par le supermarché en ligne flamand dédié produits frais Lokkal. Alors, c’est grave docteur ? Les patients, eux, ne semblent en tous cas pas inquiets, du moins pour le secteur dans son ensemble. Crisp est dans le rouge, Rayon vient de jeter l’éponge, Lokkal a arrêté les frais au printemps 2023… Les temps sont durs pour les supermarchés en ligne dans notre pays. Pourtant, les principaux intéressés continuent à voir le panier à moitié plein en ce qui concerne l’avenir du secteur, à quelques conditions toutefois.

"Je reste convaincu par le concept d'épicerie en ligne"

"Je ne pense pas qu’il y ait un problème avec le business model des supermarchés online en lui-même", assure Stéphane Ronse, CEO de Smartmat, la société-mère de Rayon mais également du spécialiste des ‘boîtes-repas’ Foodbag. "D’ailleurs, je reste convaincu par le concept d’épicerie en ligne ou le ‘fresh food e-commerce’", ajoute-t-il. "Par contre, je pense en effet que dans cette industrie, il est très important d’atteindre une certaine échelle aussi rapidement que possible, afin que les opérations puissent devenir rentables. Dans le cas de Rayon, nous nous sommes toutefois rendu compte que le temps nécessaire pour atteindre cette échelle allait être plus long que prévu. Nous avions pourtant vu des perspectives intéressantes dans nos données clients, nous étions plutôt satisfaits des statistiques individuelles… Mais à nos yeux, le marché croît plus lentement qu’anticipé et il a été plus difficile que prévu de gagner de nouveaux consommateurs. C’est la raison pour laquelle nous avons préféré mettre un terme aux activités de notre unité d’e-grocery, car nous estimons que Smartmat n’a pas vocation à être le genre d’entreprise qui entretient des projets qui perdent de l’argent dans la durée."

Du côté de chez Crisp, où l’on suit bien évidemment de près l’actualité du marché, on ne semble guère très inquiet suite aux difficultés rencontrées par les autres acteurs du secteur, ni de ses propres pertes d’ailleurs. "Les pertes au démarrage sont liées à la création d’une entreprise et concernent des investissements prévus", explique le cofondateur du supermarché néerlandais, Tom Peeters, qui assure au passage que le développement dans notre pays se déroule conformément à ce qui était attendu. "Nous sommes opérationnels en Flandre depuis un an et nous affichons une croissance et des marges saines. Depuis notre lancement, nous avons ajouté de nombreux fabricants locaux à notre offre et nous sommes en train de changer le système alimentaire traditionnel. La dernière publicité télévisée fonctionne également très bien sur le marché flamand", assure-t-il. De manière générale, le CEO de Crisp estime que ses clients adoptent un comportement d’achat 'sain' avec notamment par des paniers bien remplis, une valeur de commande moyenne élevée et une grande fidélité. "Notre avantage est que nous avons pu nous déployer à un rythme accéléré en Belgique à partir d’un lancement réussi et d’un modèle financièrement sain et durable qui a déjà fait ses preuves aux Pays-Bas. Cela se traduit, entre autres, par une marque forte, une infrastructure associée et une technologie intelligente exclusive. Pour Crisp, la Flandre est un marché en pleine croissance."

"Le besoin de nourriture reste inchangé, quel que soit le climat économique"

L’enthousiasme de l’entrepreneur néerlandais est d’autant plus remarquable qu’il perdure malgré un contexte économique post-pandémie pas toujours évident à gérer pour les retailers alimentaires, doublé d’une crise inflationniste plus observée depuis des décennies. "D’une manière générale, nous voyons un marché difficile avec une pression sur l’économie, mais la pertinence du produit Crisp n’est pas diminuée", poursuit Tom Peeters. "Le besoin de nourriture reste inchangé, quel que soit le climat économique. Et l’importance de la qualité des aliments ne fait que croître. "Bien sûr, le CEO convient qu’en période difficile, il est plus complexe d’organiser correctement ses activités. « Mais c’est surtout valable pour les supermarchés qui comptent de nombreux magasins et dont les loyers et les coûts énergétiques sont élevés", nuance-t-il. "Étant donné que nous sommes un acteur 100% online qui achète autant que possible des produits de saison et de proximité, l’impact de la hausse des prix de l’énergie et du transport est beaucoup plus limité pour nous que pour les supermarchés en ligne classiques qui s’approvisionnent davantage en produits plus éloignés. Et le fait que Crisp ne dispose pas de magasins coûteux et que sa chaîne ne comporte pas d’importants flux de pertes liées au gaspillage contribue également à maintenir des prix attractifs pour les consommateurs. "En effet, Tom Peeters rappelle que Crisp fonctionne davantage comme une place de marché que comme un retailer traditionnel, ce qui lui permet de relier plus directement l’offre et la demande avec à la clé, dit-il, des économies en matière d’achat, de stockage et de vente par rapport à un modèle plus conventionnel. "Cette efficacité permet d’obtenir de meilleures marges et une chaîne plus courte, c’est-à-dire un produit plus frais. L’inconvénient, c’est qu’un acteur en ligne se doit de disposer d’une bonne technologie. Sans cela, le système ne fonctionnera pas. De même, il faut être bon en marketing, puisque les clients ne rencontrent pas de magasins dans les rues. Sans une bonne technologie et un bon marketing, il est très difficile de faire d’un acteur en ligne un succès."

Mais selon Stéphane Ronse, la plus grande force des supermarchés en ligne par rapport aux enseignes classiques est de pouvoir partir d’une page blanche. "Pas besoin de prendre en compte une logistique ou des systèmes déjà existants, vous pouvez mettre en place votre propre ‘operational framework’ basée uniquement sur l’e-commerce. Même si bien sûr, cela implique aussi en contrepartie de devoir construire un business à partir de rien, et donc de devoir acquérir de l’expertise, du know-how, etc." Le patron de Smartmat pointe également un autre atout en faveur des retailers online : l’air du temps." L’e-grocery est intrinsèquement une affaire de convenience. Or si l’on observe les tendances et les nouveaux business, on constate que le maître-mot est presque toujours le même : convenience. Par conséquent, à mes yeux, il s’agit donc aussi d’une question de switch de mentalité dans le chef du consommateur, et ce switch semble se faire plus lentement en Belgique qu’ailleurs en Europe. Le Belge est sans doute un peu moins porté sur l’innovation que les consommateurs d’autres pays comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, où le marché de l’e-grocery croît à des niveaux supérieurs."

La Belgique, un marché 'très attractif'

Une autre spécificité du marché belge est de compter un nombre particulièrement élevé de supermarchés physiques par habitant. Au point de freiner l’essor de leurs équivalents en ligne ? "Non, pas à notre avis", estime Tom Peeters. "La densité des supermarchés est élevée dans tous les pays d’Europe occidentale. Il y a des parts de marché disponibles pour les acteurs qui proposent des prix, une qualité et un service de qualité.." Avec simultanément jusqu’à neuf retailers alimentaires online actifs en Belgique au début de 2023, la concurrence en ligne se serait-elle trop exacerbée ? "À mon sens, pas spécialement. D’ailleurs, ce n’est pas nécessairement négatif d’avoir de la concurrence sur le marché.», avance Stéphane Ronse. Ou bien alors, le marché belge ne serait-il pas tout simplement trop petit ? "Je suis convaincu que le marché est assez grand", poursuit le CEO de Smartmat. "Et au sein de ce marché, il y a de la place pour avoir différentes propositions : des enseignes qui se concentrent sur les prix bas, d’autres qui se concentrent sur les produits locaux, etc. Comme on le voit sur le marché physique, il y a différentes propositions qui couvrent l’ensemble du marché, avec certaines propositions qui s’adressent à des parties plus petites de ce marché. Je suis convaincu qu’à terme, le marché en ligne sera aussi varié et comptera autant de propositions différentes que le marché physique. Selon moi, il ne s’agit absolument pas d’un secteur du type ‘the winner takes it all’. Seulement il faut de l’échelle pour obtenir un business model rentable. Toute la question est de savoir combien de temps cela prendra pour atteindre l’échelle nécessaire…" Et Tom Peeters d’enchaîner : "Nous voyons en la Belgique un marché très attractif. Plus de 30 milliards d’euros y sont dépensés chaque année en produits alimentaires. Le passage à l’achat en ligne se fait clairement dès qu’un fournisseur propose un produit, un prix et un service de qualité. C’est le cas dans toutes les catégories de produits. C’est ce que nous constatons aux Pays-Bas comme en Belgique. Le client flamand achète même des paniers un peu plus importants que son alter ego néerlandais, il est aussi un peu plus fidèle."

L’e-grocery est intrinsèquement une affaire de convenience. Or si l’on observe les tendances et les nouveaux business, on constate que le maître-mot est presque toujours le même : convenience.
Stéphane Ronse
CEO DE SMARTMAT

"Les achats en ligne ne disparaîtront pas"

Armé de telles convictions, il n’est pas étonnant de voir le fondateur de Crisp afficher un profond optimisme pour l’avenir de son enseigne et du secteur dans son ensemble, y compris dans notre pays. "Internet et les achats en ligne ne disparaîtront pas de la Belgique. Ils gagnent en importance, cela ne fait aucun doute sur le marché. Les acteurs qui disposent d’un bon produit et d’un business model sain se développeront. Cela vaut d’ailleurs pour les acteurs on- et offline. Au cours des dix prochaines années, le marché hors ligne connaîtra lui aussi une évolution majeure. La transition a déjà commencé et peut être clairement observée sur le marché et dans l’actualité. Les acteurs traditionnels et les nouveaux joueurs devront deviner avec justesse quelle est la valeur ajoutée de leur produit. S’ils n’y parviennent pas, leur modèle disparaîtra du marché." Pour Stéphane Ronse aussi, il ne fait aucun doute que l’e-grocery a définitivement un futur en Belgique. "Mais comme pour n’importe quel business, il faut une proposition claire et une différenciation par rapport à ses concurrents." Et le patron de Smartmat d’ajouter un autre bémol : "À mon sens, il est très difficile à l’heure actuelle d’être rentable en tant qu’e-commerçant spécialisé dans l’épicerie, tout en proposant une zone de livraison à l’échelle nationale. C’est possible en se positionnant comme une initiative très locale, mais pas en livrant partout en Belgique. Pour atteindre la rentabilité, il faut impérativement une échelle et une drop density très élevées, et c’est ce qui constitue le principal challenge aujourd’hui. C’est par contre ce que nous sommes parvenus à atteindre avec notre business principal, Foodbag fournissant désormais 12.000 foyers par semaine en Belgique." Et Tom Peeters de conclure : "Il existe de nombreux exemples concrets d’acteurs en ligne qui sont parvenus à créer des entreprises saines et rentables : Zalando pour la mode, Coolblue pour l’électronique… Et dans d’autres pays, il existe déjà des supermarchés 100 % online qui sont rentables : Ocado au Royaume-Uni, Nemlig au Danemark, Coupang en Corée du Sud… Le fait que Crisp dispose d’une application n’est pas unique, c’est la façon dont l’ensemble de notre chaîne est organisée qui fait la différence."