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Le bulletin de santé des supermarchés indépendants wallons et bruxellois

Catégorie

Actualité

Publication

05/04/2024

Le bulletin de santé des supermarchés indépendants wallons et bruxellois

Suite à la pandémie, à la forte augmentation des prix des matières premières et des charges qui y sont liées, les exploitants indépendants de supermarchés n'ont pas eu la vie facile ces dernières années. Comment décrire leur santé financière ? Missionné par APLSIA, l'expert financier Luc Roesems a analysé les bilans des entreprises qui hébergent l'activité des supermarchés en franchise au sud du pays. Verdict : en 2022, plus d'un tiers d'entre elles se sont révélées déficitaires.

On peut parler d'une récente tradition : depuis 2019, l'expert financier Luc Roesems se penche tous les deux ans sur l'état financier des magasins wallons et bruxellois, en collaboration avec APLSIA, l'association professionnelle du libre-service endépendant en alimentation. APLSIA a partagé les résultats de l'enquête avec Gondola, ce qui nous permet de décrire dans ces pages les données issues de ces bilans pour les exercices 2021 et 2022, et d'évaluer les éventuelles différences entre les réseaux. Luc Roesems a collecté les données pour l'exercice 2022 à partir des bilans que les entreprises concernées doivent déposer à la Banque nationale de Belgique (BNB). L'échantillon comprend cette fois 313 supermarchés wallons et bruxellois, un nombre plus restreint que la dernière fois (exercice 2020), où Luc Roesems avait examiné 358 entreprises. Ce nombre plus réduit s'explique par des changement d'enseignes, des fermetures ou des chiffres manquants pour 2022, l'exercice examiné cette fois-ci. 

L'analyse de l'échantillon de 313 bilans montre que la marge brute avait augmenté de 3,56 % en 2021 par rapport à l'exercice 2020. Cette marge brute correspond au chiffre d'affaires moins le coût des biens commerciaux (principalement les achats) moins les services et biens divers. Ainsi, en 2021, le marché était encore légèrement meilleur qu'en 2020. Les résultats suivent cette tendance positive, avec un résultat d'exploitation en hausse de 6,71 % et un résultat net encore supérieur de 7,31 % à celui de 2020, à 118.462 euros en moyenne. Il faut noter que les chiffres d'affaires ne sont qu'une estimation, car peu d'entreprises présentent des bilans complets, même avec les bilans confidentiels que certains dirigeants d'entreprises ont communiqués. L'évolution du chiffre d'affaires n'est donc qu'indicative. En 2021, le chiffre d'affaires a augmenté de 4,49 % ; en 2022, il a diminué de 4 % (chiffre arrondi). Derrière cette baisse se cache une baisse beaucoup plus forte de la consommation, qui est de facto plutôt de 14-15 %, puisque l'inflation des prix à la consommation en 2022 est de l'ordre de 12-15 %. En fait, les ventes auraient dû augmenter fortement en conséquence, ce qui n'a manifestement pas été le cas.

Luc Roesems poursuit : “En 2021, 58 entreprises -18,5 % de tous les supermarchés de l'échantillon - ont enregistré une perte moyenne de 103.780 euros. À cette époque, 255 entreprises réalisaient un bénéfice moyen de 169.010 euros, soit 43 % de plus que le bénéfice moyen. En 2022, on compte 112 supermarchés déficitaires, soit plus d'un tiers (35,7 %) du nombre total d'entreprises étudiées, avec une perte moyenne de 130.991 euros. La baisse est importante : alors que le bénéfice moyen des entreprises ayant un résultat positif en 2020 était de 158.518 euros, il a augmenté en 2021 (169.010 euros ou +6,6 %) mais a depuis lors chuté de près de 22 % en 2022 pour atteindre une moyenne de 132.212 euros. La solvabilité est inférieure aux 40 % souhaités, de sorte que les fonds propres ne couvrent que 23,61 % du passif total, ce qui indique que l'entreprise moyenne est plus endettée qu'elle ne le souhaiterait.

En ce qui concerne ces dettes, les dettes à court terme seront facilement couvertes par les actifs circulants en 2022. Luc Roesems confirme ce facteur plutôt rassurant: “Cela signifie que si un créancier frappe à la porte pour se faire payer, il n'y a pas de problème (en moyenne). La liquidité est de 1,13, ce qui signifie que les actifs sont supérieurs de 13 % aux dettes à court terme. C'est tout à fait normal dans un secteur où les consommateurs paient directement à la caisse et où les stocks se renouvellent assez rapidement. Même si nous excluons les stocks, ce qui est le cas dans une évaluation ‘stricte’ de la liquidité, ce ratio s'élève encore à 0,77, ce qui est un niveau faible mais acceptable.” 

Le coût par salarié a à peine augmenté en 2021 par rapport à 2020 (+2,23 %), mais a fortement augmenté en 2022 (+9,27 %). Il s'agit d'une sous-estimation car il y a un léger retard dans la déclaration des augmentations. L'effet sera peut-être beaucoup plus évident dans les bilans de l'exercice 2023. 

Luc Roesems : “La baisse des ventes en 2022 se traduit inévitablement par une baisse significative de plusieurs chiffres du bilan, et surtout dans le compte de résultats. Curieusement, il apparaît que seuls 299 supermarchés sur 313 déclarent des stocks. Ceci est surprenant car un supermarché sans stock est tout à fait invraisemblable. On est également surpris par la moyenne plutôt élevée des créances commerciales, à la fois à plus d'un an et à moins d'un an, révélatrice des relations B2B avec les partenaires commerciaux (88.224 euros à la fin de 2021).” 

En 2022, la croissance des réserves ralentit (+15,76 % en 2021 et +3,93 % en 2022). Ceci est entièrement dû à des résultats nettement plus faibles pour cette année-là :

  • La marge brute chute de 12 %, ce qui est certainement dû en partie à des prix de l'énergie beaucoup plus élevés pour les supermarchés ayant des contrats variables.
  • Le résultat d'exploitation lui-même est en baisse de 54,59 %, principalement parce que les coûts salariaux sont en hausse de 7,34 %.
  • Le bénéfice net, avec une moyenne de 38.031 euros, est inférieur de près de 38 % à celui de 2021.

“L'année 2022 a donc été une mauvaise année”, déclare Luc Roesems. “Cela ressort également de l'augmentation du nombre de supermarchés déficitaires. Leur perte moyenne s'élève à 130.991 euros, mais la fourchette entre une petite perte et une grande perte est très large (de 15 euros à 870.852 euros). Les entreprises rentables se sont également moins bien comportées en 2022, avec un bénéfice moyen de 132.212 euros, soit près de 21 % de moins qu'un an plus tôt. Leur bénéfice est 3,5 fois plus élevé que la moyenne de l'ensemble des entreprises (rentables et déficitaires). Malgré cela, la solvabilité s'améliore légèrement, car les dettes diminuent légèrement et les capitaux propres augmentent encore de 1 %. Comme on pouvait s'y attendre, les liquidités ont légèrement diminué, car il y a eu moins de ventes sur lesquelles il restait finalement moins de bénéfices.”

Mauvais résultats en 2022, grandes différences entre les chaînes

Avertissement : Les bilans complets ne sont disponibles que pour quelques Delhaize AD. Il n'est donc pas possible de comparer l'évolution du chiffre d'affaires par enseigne. 

Évolution de la marge brute

L'image est claire : en 2022, tout le monde a été touché par le ralentissement, sauf les magasins Carrefour Express. C'est logique puisqu'ils ont subi une baisse de 20,5 % en 2020 pendant la période de la Covid-19, un contexte qui les pénalisait fortement. Les coûts salariaux ayant augmenté partout en 2022, l'impact sur le résultat d'exploitation et le résultat net est négatif. La baisse par rapport à l'année précédente est spectaculaire dans de nombreux cas.

Évolution du résultat d'exploitation & du résultat net

Le tableau est également clair en ce qui concerne l'évolution du résultat net. AD Delhaize résiste un peu en 2022, tandis que Carrefour Express - parce que ces magasins sortent d'une crise profonde due à la pandémie - se porte mieux. Mais toutes les autres chaînes souffrent. La base de la marge brute est tout simplement trop faible et tous les coûts supplémentaires ne font qu'aggraver cette tendance négative. Dans certains cas, la situation du bénéfice net est même trop rose. Certaines données confidentielles montrent que les bénéfices dépendent également dans une large mesure des "revenus divers", c'est-à-dire (par exemple) du loyer des appartements situés au-dessus d'un magasin ou d'activités auxiliaires qui ne font pas partie de l'activité du supermarché.

Ces revenus augmentent immédiatement le bénéfice net et masquent les résultats du supermarché. Cette situation difficile se reflète dans le nombre de supermarchés affichant des pertes en 2022 par rapport à 2020 et 2021. L'année 2022 affiche surtout un creux important pour Intermarché, Mestdagh et Proxy Delhaize.

Cette situation difficile se reflète dans le nombre de supermarchés enregistrant des pertes en 2022 par rapport à 2020 et 2021 : “Le pourcentage d'entreprises déficitaires dans l'échantillon varie fortement en fonction de l'enseigne : les magasins AD Delhaize semblent être les plus résistants au ralentissement, avec 16 % de pertes. Les magasins Intermarché (56 %) et Carrefour Mestdagh (52 %) sont les plus touchés en 2022. Il est également surprenant de constater que dans l'échantillon 2022, 46 % des magasins Delhaize Proxy sont déficitaires.”

Luc Roesems met ces chiffres difficiles pour 2022 en rapport avec les difficultés que rencontrent aussi les centrales, en l'occurrence les franchiseurs : “Leurs bilans montrent qu'ils naviguent eux aussi par mauvais temps. Les ventes cumulées ont baissé de 2,9 % en 2022, alors que la forte inflation aurait dû entraîner une hausse. Leurs bénéfices d'exploitation ont déjà chuté de 52 % en 2021 ; en 2022, ils représentaient à peine 19 % des niveaux de 2020. Les bénéfices nets ont suivi : en 2021, ils représentaient encore 50,9 % des niveaux de 2020 et en 2022, à peine 28,8 % des niveaux de 2020.”

A quoi s'attendre pour l'exercice 2023 ?

À l'heure actuelle, il est difficile d'estimer la situation en 2023 : les bilans ne sont soumis qu'au cours de l'année 2024. Certains bilans ne suivent pas l'année civile et couvrent également les premiers mois de 2023, ce qui donne une première idée de ce que sera la situation à ce moment-là. Une brève analyse portant sur 50 magasins avec exercice comptable décalé, donc en partie en 2023, donne une première idée de l'évolution potentielle pour 2023. Dans le meilleur des cas, le bénéfice d'exploitation resterait stable, mais aurait plutôt tendance à diminuer, de l'ordre de 3 à 5 %). Le bénéfice net moyen serait également plus faible, de 10 à 14 %, en raison des niveaux de salaires et frais en hausse. Il s'agit là encore d'un tableau très incomplet, qui incite à apprécier cette tendance avec prudence. Les marges nettes sur les ventes que les supermarchés peuvent réaliser sur leurs prix d'achat auprès des centrales semblent se réduire quelque peu. Cette érosion rampante se poursuit depuis des années. “Ceux qui ne travaillent pas très activement à l'amélioration des marges par type de produit et par produit individuel s'en sortiront de plus en plus mal”, affirme Luc Roesems. Les résultats concrets obtenus par un certain nombre de supermarchés prouvent toutefois que le suivi et l'ajustement à l'aide d'un outil adapté peuvent considérablement améliorer ces marges et, partant, les bénéfices nets. “Les exploitants peuvent même atteindre une marge supplémentaire de 1,25 à 2 %, grâce à ces outils.  Pour beaucoup d'entre eux, ceci représente la différence entre les pertes et (enfin à nouveau) les bénéfices.”

Gondola