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Xavier Piesvaux: “cette décision est pleinement celle de Delhaize Belgique"

Catégorie

Actualité

Publication

08/03/2023

Xavier Piesvaux: “cette décision est pleinement celle de Delhaize Belgique"

On s’attendait à du changement, mais pas de façon aussi radicale. Tout le marché est secoué par l’annonce de Delhaize intervenue ce matin. Et complétée par les entretiens tenus avec la presse par le CEO Xavier Piesvaux et Illya Van den Borre, en charge des relations sociales.

Une surprise ? Le mot est faible : c’est un changement fondamental de paradigme qu’a acté ce matin Delhaize en annonçant son souhait de transférer la totalité de son parc de supermarchés intégrés belges à de futurs exploitants affiliés indépendants. Bien entendu, la  récente dénonciation unilatérale par l’enseigne de la convention collective sur l'organisation du travail avait mis la puce à l’oreille. On ne déchire pas un document dont l’encre est à peine sèche – les dernières négociations sur ce sujet datent de septembre dernier – simplement pour le plaisir d'un petit peu de flexibilité en plus en point de vente. Si l'on ose remettre en cause une paix sociale laborieusement négociée, qui plus est dans les conditions de marché délicates actuelles, c'est parce qu'elle repose entre autres sur quelques piliers, qu'on choisit délibérément de cesser de traiter en tabous. En l'occurrence, ces piliers-là, il y en avait deux : pas de compression du personnel jusqu'à l'horizon 2025, et pas de basculement de magasins intégrés vers une exploitation en franchise. C'est plutôt à ce tabou-là qu'on pensait hier, sous une forme limitée. Les sources syndicales évoquaient souvent ce constat posé en réunion par la direction : un quart des supermarchés intégrés n'atteindrait pas le seuil de rentabilité. Mais sans se douter que la mesure ne se limiterait pas aux magasins les moins prospères : c'est le modèle même de Delhaize qui est fondamentalement transformé.

Cette décision,  Xavier Piesvaux ne cherche d'ailleurs pas vraiment à longuement la justifier par une dramatisation excessive des enjeux, dans les entretiens qu'il a accordés ce matin à la presse en compagnie d'Illya Van den Borre, Senior Vice President HR & Corporate Affairs. Pas de précisions sur le taux de magasins déficitaires, ce qui est prudent : on n'attire pas forcément les entrepreneurs avec du vinaigre. Pas non plus de chantage à la faillite, de "c'est ça ou on ferme boutique" ni de "on n'a pas le choix", comme on l'a parfois connu dans d'autres cas. Ce qui est, au risque de choquer les membres du personnel concerné, plutôt digne. Le choix, il existe, et il est au contraire pleinement assumé, et doublement : le seul modèle capable d'aligner durablement Delhaize sur une courbe de croissance, nous dit la direction, c'est celui d'un réseau homogène, exploité par des affiliés indépendants, dont la combativité, l'enracinement local, l'esprit commerçant ont systématiquement prouvé qu'ils performent en moyenne de 15 à 25% au-dessus des succursales. Et quand on soulève l'hypothèse d'une décision imposée par le Groupe Ahold Delhaize depuis Zaandam, après avoir lu l'agacement du patron du Groupe Frans Muller, Xavier Piesvaux répond aussitôt, catégoriquement : "Il s'agit bien d'une décision prise par le Comité de direction de Delhaize Belgique, sur base d'une analyse du marché belge et de sa vision des attentes du client de demain."

L’exploitant indépendant : un profil toujours plus recherché

Cette stratégie-là repose toutefois sur une condition : il va falloir trouver les oiseaux rares, les candidats entrepreneurs disposant à la fois des fonds propres et des compétences pour reprendre ces 128 magasins. Et avec la récente reprise des 86 Mestdagh par Intermarché, c’est potentiellement jusqu’à 214 entrepreneurs locaux suivis par leurs banquiers qu’il faut trouver, très au-delà de ce que tout le marché recrute en 5 ans. Xavier Piesvaux écarte la référence à Intermarché : chaque enseigne a ses caractéristiques et sa gouvernance. Et il se montre très confiant sur la capacité de Delhaize à séduire des entrepreneurs intéressés, que ce soit dans le vivier actuel des affiliés, parmi les cadres de la centrale qui voudraient franchir le pas, ou en-dehors du périmètre Delhaize. 

On garantit aux collaborateurs le maintien de toutes leurs conditions et de leurs avantages. Mais la meilleure garantie pour l’emploi, c’est la croissance.

Illya Van den BorreSenior Vice President HR & Corporate Affairs, Delhaize

Il confirme aussi que seul sera cédé le pas de porte. L’immobilier, là où il appartient à Delhaize, restera la propriété de l’enseigne. “Notre objectif sera évidemment de transférer ces magasins à des partenaires affiliés en les plaçant dans les meilleures conditions de succès.” Comprenez : contrairement aux apparences, le groupe ne désinvestit pas sur la marque, il entend plus que jamais consacrer les moyens nécessaires à la développer, mais sur base du modèle le plus prometteur pour l’avenir. 

La coexistence de deux enseignes au Nord du pays, ne risque-t-elle pas de troubler les affiliés? Albert Heijn, qui a plus que contribué à animer la concurrence depuis 10 ans, ne deviendra-t-il pas leur premier concurrent? Les rôles sont-ils clairement et équitablement répartis? “Le positionnement et le public des deux enseignes sont plus complémentaires que concurrents, et d’ailleurs nous avons désormais le cas d’un partenaire indépendant exploitant deux magasins de ces enseignes différentes, et tout proches l’un de l’autre.”

Avec un parc 100% affilié, l’enseigne Delhaize ne sera-t-elle pas privée d’un laboratoire bien utile pour rôder les nouvelles générations du concept commercial ou tester les extensions de l’assortiment? “Depuis 3 ans, toutes nos innovations sont déjà lancées simultanément dans les magasins intégrés et affiliés. Les indépendants sont les premiers demandeurs d’innovation.”

Un autre pavé dans la mare…

Reste le volet social. La colère du personnel et des syndicats ? “On comprend qu’il y ait des réaction émotionnelles,” répond Illya Van den Borre, qui sera en première ligne pour maintenir un dialogue social, dont l’agenda suivra un rythme hebdomadaire, avec des réunions programmées pour le 14, le 21 et le 28 mars. “On garantit aussi aux collaborateurs le maintien de toutes leurs conditions et de leurs avantages. Mais la meilleure garantie pour l’emploi, c’est la croissance.” Au premier jour de l’annonce de ce profond changement, la Direction de Delhaize se montre décidée et assertive : il n’y a pas à proprement parler à ce stade de négociation, mais une procédure d’information et de consultation. Elle semble toutefois suffisamment importante pour que l’on évite d’échafauder des scénarios sur ce qui pourrait intervenir au cas où certains magasins ne trouveraient pas preneurs, ou qu’on précise dans quels services de la centrale (HR, équipes commerciales…) les effectifs pourraient fondre suite au changement de modèle. Ce dialogue ne sera à l’évidence pas facile : les syndicats sont choqués par cette décision surprise. Leur réponse ne risque pas d’être plus soft que dans le cas d’Intermarché et Mestdagh. Le passage à la franchise, c’est la disparition d’une représentation syndicale garantie, et ce n’est pas une évolution qu’ils sont prêts à accepter de gaieté de coeur. Le printemps social sera donc très chaud dans la distribution. Et peut-être n’est-ce pas tout à fait une coincidence, même si nous quittons ici le registre des faits pour celui des conjectures. Chez Delhaize, on rejette toute comparaison avec l’actualité Intermarché-Mestdagh. Mais celle-ci a lancé un pavé dans la mare sociale qui ouvre aussi paradoxalement une fenêtre d’opportunité à ceux qui veulent évoluer vers un modèle plus souple : même au prix du conflit, c’est le moment où jamais…