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Un quart des franchisés sont en difficulté

Catégorie

Actualité

Publication

30/11/2023

Un quart des franchisés sont en difficulté

La pression sur les franchisés du food retail ne cesse de s’intensifier. Selon une analyse de Gondola et GraydonCreditsafe, un quart d’entre eux sont en mauvaise posture financière. Pour beaucoup, un rachat ou une faillite se profile à l’horizon. “Nous risquons un appauvrissement de l’offre.”

S’appuyant sur les bilans annuels déposés jusqu’en 2022, Gondola et GraydonCreditsafe, spécialiste du traitement et de l’analyse des données commerciales, ont réalisé une analyse de la santé financière des franchisés du food retail. Dans ce cadre, 2.038 magasins ont été examinés. Le tableau est sombre. Les crises successives – inflation, énergie, augmentation des salaires – épuisent les réserves de nombreux entrepreneurs, réduisant d’autant leur capacité à absorber d’éventuels nouveaux chocs. Nous passons les chiffres en revue avec Eric Van den Broele, directeur recherche et développement chez GraydonCreditsafe. “Notre analyse porte sur trois groupes : nous nous sommes d’abord intéressés à l’ensemble des entreprises belges, puis aux entreprises de distribution alimentaire (les chaînes telles que Delhaize, Colruyt...) et enfin les franchisés. En comparant ces groupes, une série d’indicateurs montrent la mauvaise santé financière d’un grand nombre d’exploitants indépendants.”

1. Peu de liquidités pour payer les dettes à court terme

Le premier chiffre est celui du ratio de liquidité, soit la quantité d’argent disponible pour faire face aux dettes à court terme. Autrement dit, combien d’argent est-il disponible en caisse ? “Dans le cas des entreprises belges, ce ratio augmente, surtout en 2020 et 2021. C’est la conséquence du covid : à cette époque, le taux d’activité était très faible mais bien soutenu par le gouvernement. Cette évolution s’est poursuivie en 2022, car on a réussi à faire augmenter les prix.”
Mais on constate l’inverse chez les food retailers et chez les franchisés qui, s’ils ont bien résisté pendant la crise sanitaire, sont victimes en 2022 des conséquences de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières. Les petits franchisés n’ont pas toujours pu répercuter les hausses sur les consommateurs. Il convient d’ajouter qu’un ratio de liquidité immédiate supérieur à 1 est toujours bon signe puisqu’il signifie que vous disposez de plus de liquidités que vos dettes immédiates à payer. Toutefois, l’excédent de liquidités n’atteint pas des montants très élevés et tend à diminuer. Une nuance importante s’impose toutefois : 23,37 % de l’effectif total des entreprises belges ont un ratio inférieur à 0,8.

2. Forte baisse de la rentabilité des actifs 

La situation est similaire pour la rentabilité des actifs – le bénéfice que les entreprises réalisent sur l’ensemble de leurs actifs –, un autre chiffre qu’analystes et investisseurs utilisent pour évaluer la santé financière d’une entreprise. Si on a observé une tendance à la hausse dans toutes les entreprises depuis 2020, les food retailers et les franchisés viennent d’enregistrer une chute spectaculaire. “Cela montre, une fois de plus, qu’ils ne parviennent pas à répercuter les hausses de prix : inflation, coûts de l’énergie et coûts du personnel.” Pour les franchisés, la rentabilité des actifs est de l’ordre de 4 %, ce qui est peu élevé. “Dans ce cas de figure, je ne vais pas investir dans leur affaire car ce chiffre signifie qu’il y a augmentation du taux d’endettement. Alors qu’il diminue pour l’ensemble des entreprises belges, il augmente dans le food retail et chez les franchisés. La règle de base est que le taux d’endettement ne doit pas dépasser 75 %, au risque de rencontrer des difficultés à emprunter auprès des banques. C’est ce que l’on constate dans la médiane pour retail – au moins 50  % – qui est à la limite.”

3. La sonnette d’alarme retentit pour les exploitants indépendants 

Selon Eric Van den Broele, le tableau est encore plus alarmant lorsqu’on se penche sur le moins bon trimestre (Trim 1) de l’ensemble des franchisés “La liquidité est inférieure à 0,8 %, une situation proprement intenable : vous n’avez pas assez d’argent pour acheter ce dont vous avez besoin ! Même chose pour la rentabilité des actifs. Ces dernières années, elle se situait autour de 0 %, ce qui signifie que vous ne réalisez pas de bénéfices sur vos actifs. Si elle avait fortement augmenté pendant la crise sanitaire, elle a de nouveau fortement baissé.

C’est l’inverse pour ce qui concerne la dette : 25 % des franchisés affichent un taux d’endettement supérieur à 90 % et il est même en augmentation. Aucune banque ne veut prêter de l’argent. Vous pouvez toujours argumenter qu’il s’agit juste d’une période difficile à traverser, les banques ne sont pas disposées à vous aider. La moitié des franchisés ont un taux d’endettement supérieur à 75 %. Ce n’est pas bon signe. Si vous êtes un peu en dessous, vous pourrez peut-être emprunter mais pas tout ce dont vous avez besoin. Les banques se montrent extrêmement prudentes.” La situation n’est donc pas bonne pour beaucoup de franchisés et Eric Van den Broele ne pense pas qu’elle doive s’améliorer de sitôt. “Je crains même qu’elle empire. Nous savons que les problèmes du food retail se sont aggravés en raison d’une convergence de facteurs. À l’inflation salariale se sont ajoutées l’inflation générale et l’augmentation des coûts de l’énergie. Les prix de l’énergie ont à nouveau baissé, mais de nombreuses entreprises fonctionnent avec des contrats annuels, favorables en 2022 mais qui augmentent aujourd’hui. Comme nous l’avons montré dans une autre étude, nombre d’entreprises n’ont pas ressenti le choc énergétique avant le printemps 2023. Il faudra donc attendre leurs prochains comptes annuels pour mesurer l’impact exact de ce choc.” À cela s’ajoute un facteur supplémentaire qui mettra à l’épreuve la résistance aux chocs des franchisés : la hausse des taux d’intérêt. Emprunter de l’argent deviendra plus cher. Ce sont surtout les entreprises fortement endettées qui en subiront les conséquences. “Personne ne s’attend à ce que les taux d’intérêt baissent, bien au contraire. Pour les entreprises déjà très endettées cela se répercutera également sur leurs résultats, leurs liquidités, etc. Mais on savait que cela arriverait, vu l’importance de la dette publique accumulée ces dernières années”.

4. Faible résistance aux chocs 

La résistance aux chocs des franchisés – nécessite une brève explication : GraydonCreditsafe a affiné le segment 3 (3+ et 3-), afin d’établir une distinction plus claire entre les entreprises saines qui peuvent, si nécessaire, avoir recours aux banques ou aux financiers, et celles qui ne trouveront de l’aide nulle part (3-). “Ce graphique montre que, là aussi, la situation est alarmante. La situation de départ des franchisés est déplorable. Même si l’on ne tient pas compte de la résistance aux chocs, on trouve dans la colonne de gauche 6 % d’entreprises qui, de toute façon, sont toujours en difficulté (extrêmement malades). Elles sont proches de la faillite. Ce pourcentage est un peu plus élevé que dans l’ensemble des entreprises. Parmi les franchisés, on en retrouve davantage dans le segment 1, le plus défavorable. Dans la colonne du milieu, nous trouvons des entreprises qui ne sont pas en grand danger selon les critères de l’analyse classique, mais qui éprouvent des difficultés. Là encore, le pourcentage de franchisés en difficulté est plus élevé que celui de l’ensemble des entreprises. Cela montre que le secteur ne se porte pas bien.” 

5. Beaucoup d’exploitants ont un besoin urgent d’injection de capital

Le graphique suivant indique les réserves et les besoins d’injection de capital des franchisés. “On voit que le secteur, et certainement le segment 3 le plus bas, a besoin d’une injection de capital (71,9 millions €). On observe aussi que parmi les entreprises du segment supérieur, le segment 9, les réserves sont limitées (312 millions €). Dans la plupart des secteurs, le rapport entre les deux est de 1 à 10. Ici, il est beaucoup plus faible, ce qui indique à nouveau que le secteur n’est pas en grande forme. On se retrouve avec un rapport d’un tiers ou d’un quart, ce qui signifie qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les franchisés du segment 9 reprennent facilement les entreprises du segment trois. Pour des raisons sociales, je ne suis pas non plus favorable à cette évolution car elle appauvrit l’offre”.

6. Gros problèmes chez Intermarché et Carrefour 

Le dernier slide montre la relation entre les réserves de liquidités et les besoins d’injection de capital des franchisés de différentes enseignes (AD Delhaize, Albert Heijn, Alvo, Proxy Delhaize, Spar Colruyt Group, Intermarché Super, Intermarché Contact, Carrefour Market, Carrefour Express, louis delhaize, Spar Express). Les données de Gondola Academy ont permis à GraydonCreditsafe de relier les franchisés aux sociétés qui les chapeautent. “On constate notamment que le rapport entre la réserve de liquidités et le besoin d’injection de capital n’est pas trop mauvais chez Delhaize.

33 % des franchisés AD Delhaize et 37 % des franchisés Proxy Delhaize ont des difficultés et ont besoin d’une injection de capital. Il s’agit principalement des entreprises qui se trouvent dans les segments 1, 2, 3 et 4 du graphique précédent. Les franchisés ayant les plus gros problèmes se trouvent chez Intermarché : 39,68 % et 40 % des entreprises ont besoin d’une injection de capital. Ce pourcentage est également élevé chez Carrefour Market (57,2 %). C’est étonnant car une analyse antérieure a montré que Carrefour Belgique est une chaîne efficiente.” Les pourcentages figurant sur les colonnes indiquent, par enseigne, le besoin moyen d’injection de capital (orange) ou de réserves (bleu) des exploitants indépendants par rapport à l’actif total de l’enseigne.

7. Conclusion : au moins un quart des exploitants indépendants de supermarchés sont en très mauvaise posture.

L’image globale qui ressort de tous ces chiffres est que la situation est très mauvaise pour au moins un quart des gérants indépendants. “Si l’on tient compte de la résistance aux chocs et au vu des chocs les plus récents, nous sommes confrontés à un problème très pertinent”, affirme Eric Van den Broele. La question est de savoir si l’on peut s’attendre à des faillites. “Il y a plusieurs possibilités. La première est d’imaginer qu’il y aura une série de faillites. La deuxième est que les enseignes optent pour des rachats et des restructurations, comme l’a fait le Colruyt Group avec Smatch et Match. La troisième est que des franchisés reprennent d’autres franchisés. Pour ma part, je pense que la première et la troisième possibilité ont le plus de chances de se réaliser. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bonne évolution sur le plan social : on se retrouve de plus en plus dans une structure en piliers. L’offre se réduit, le choix diminue. En général, cela signifie un appauvrissement de la créativité, ce que l’on retrouve traditionnellement dans les PME. À long terme, cela signifie un appauvrissement du tissu économique. On peut légitimement se demander s’il n’est pas temps d’explorer d’autres pistes.” Ces autres pistes, Eric Van den Broele les a esquissées avec Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola. “Concrètement, nous pensons que le gouvernement pourrait proposer des incitants fiscaux pour que ceux qui ont des réserves aujourd’hui fassent des acquisitions, sans viser le rachat pur et simple mais en prenant une participation minoritaire, ce qui permet de préserver l’identité de l’entreprise. L’attractivité fiscale pourrait par exemple consister en un mécanisme de déduction des intérêts notionnels. Les avantages liés à ce mécanisme ne seraient octroyés que dans la mesure où l’investisseur ne prendrait qu’une participation minoritaire. Socialement, cette mesure a du sens car on voit bien que de nombreux consommateurs préfèrent acheter localement plutôt qu’auprès des grands groupes. C’est un débat qui mérite d’être tenu.”

Article & graphiques Gondola