Chaque année à pareille époque, Tom Penninckx, analyste auprès du bureau d’études de marché NielsenIQ, revient sur les évolutions marquantes des produits FMCG et du retail en général. “Le fait que les consommateurs soient moins fidèles constitue pour les marques A autant un défi qu’une opportunité.”
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en 2024 ?
Que nous avons eu une année normale. Depuis 2019, nous avons enchainé les années ‘folles’, avec d’abord la pandémie puis la très forte inflation. À l’époque, les consommateurs sont devenus plus prudents, économisant davantage, évitant les achats inutiles. Ils se sont également montrés plus sensibles aux prix et aux promotions mais, à cet égard, 2024 marque un certain tournant. Même s’ils restent circonspects, on constate qu’ils sont à nouveau prêts à dépenser plus. Les hausses de prix sont également moins nombreuses. Nous avons connu des périodes d’inflation négative mais sur l’ensemble de l’année, l’inflation belge est de 0,7 %.
Après le recul de ces dernières années, les volumes sont restés stables à 0,2 %. Cette évolution est confirmée par la global consumer survey de NielsenIQ-GfK dans laquelle les consommateurs indiquent leur intention de dépenser un peu plus tout en restant prudents. Une attitude qui n’a rien de surprenant quand on sait que ces deux dernières années les prix ont augmenté de 18 %, en Belgique comme dans l’ensemble de l’Europe occidentale. Le nombre de consommateurs belges qui se disent moins bien lotis qu’il y a un an est en baisse (32 % mi-2024 contre 34 % mi-2023), mais le ressenti est différent ailleurs en Europe. En effet, dans de nombreux pays européens, les citoyens ont le sentiment que leur situation s’est dégradée. La hausse des prix des denrées alimentaires reste de loin la principale préoccupation des consommateurs européens (33 %), bien plus que, par exemple, les coûts d’approvisionnement (20 %), le ralentissement économique (19 %), le réchauffement climatique (14 %) ou même les conflits mondiaux (13 %).
Les marques de distributeurs ont-elles continué à gagner du terrain cette année ?
Elles restent populaires. L’inflation élevée et l’incertitude leur ont permis d’atteindre une part de marché record de 41 % en 2023, soit un bond phénoménal de 3 points en deux ans. Mais alors que la forte inflation est derrière nous, elles conservent leurs acquis. Il n’est en effet pas facile pour les marques A de reconquérir les clients une fois que ceux-ci ont goûté aux marques de distributeurs et constaté qu’elles offrent un bon rapport qualité-prix. Elles sont très présentes en Belgique en raison de la forte concentration d’enseignes et de la forte présence des hard discounters.
Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou encore en Espagne, les marques de distributeurs détiennent de plus grosses parts de marché qu’en Belgique. À moyen terme, nous pouvons donc nous attendre à ce qu’elles progressent encore chez nous. On observe également une évolution remarquable sur le plan de la perception de ces marques. 50 % des consommateurs du monde entier déclarent qu’ils achèteront peut-être plus de marques de distributeurs qu’ils ne l’ont jamais fait mais, surtout, 40 % indiquent qu’ils ne seraient pas choqués si elles augmentaient leurs prix. Autrement dit, ils sont prêts à payer plus cher s’ils jugent que le produit est bon ou meilleur. C’est une sorte de branding qui se met en place. Prenons l’exemple de Boni. C’est la plus grande marque du pays, mais certains produits Boni sont plus chers que certaines marques B. Franchement, je ne m’attends pas à ce que les marques regagnent du terrain. Si l’on se penche sur les dernières décennies, la pandémie a été la seule période au cours de laquelle les marques de distributeurs ont cédé du terrain parce que les consommateurs avaient besoin d’un peu de luxe pour supporter le confinement.

Autre constat : le retour de la pression promotionnelle
Communication toujours plus rapide, grande influence des réseaux sociaux ou encore forte inflation, autant de raisons qui ont poussé les consommateurs à être nettement moins fidèles que naguère. 52 % des consommateurs des cinq principaux pays de l’UE n’achètent plus de produits d’une même marque l’année suivante. Pour les marques A, il s’agit aussi bien d’un défi que d’une opportunité.
Les consommateurs sont ouverts à la nouveauté, ce qui signifie qu’aucune marque ne peut se reposer sur ses lauriers en arguant de son ‘capital de marque’. Ce serait s’exposer à un sérieux retour de bâton. Le mot d’ordre est vigilance. Sans surprise, c’est dans la catégorie des produits non-food et dans celle des aliments pour animaux que les promotions ont le plus augmenté ces dernières années. Ce fut aussi le cas dans celle des boissons alcoolisées, en raison de l’importance accrue accordée à la santé. Les promotions devraient se multiplier dans les catégories qui ont un peu plus de mal, non-food et petfood mais aussi bières et boissons alcoolisées. Dès qu’une catégorie subit un peu plus de pression, on voit fleurir les promotions. Le marché (belge) des bières de dégustation illustre parfaitement la moindre loyauté des consommateurs. En 2007, il suffisait de huit marques pour atteindre 80 % du volume, contre 26 en 2024. Les marques établies telles que Leffe, Duvel, Grimbergen ou Chimay sont donc sous pression. Pour maintenir leurs volumes, elles augmentent leurs promotions, tandis que les nouveaux venus font également beaucoup de promotions pour gagner en pénétration. Il y a dix ans, les promotions représentaient 25 % des ventes de bière, aujourd’hui c’est 35 %.
Ces dernières années, les consommateurs belges ont indiqué que les promotions étaient leur principale stratégie pour réaliser des économies. Une autre explication du recours aux promotions réside dans la baisse de la demande due aux augmentations de prix et au benchmark, avec des volumes extrêmes en 2020 et 2021, pendant la pandémie. Et il faut encore noter la concurrence toujours plus forte, notamment celle des enseignes néerlandaises comme Albert Heijn, Jumbo, Action et, bien sûr, de l’e-commerce.
Les promotions ont un inconvénient : les consommateurs s’y habituent
Elles sont dangereuses, non seulement parce qu’elles font plonger les marges mais aussi parce qu’on conditionne les consommateurs et qu’on les rend dépendants. Ce n’est pas la bonne façon de créer de la valeur. En revanche, il est possible de créer de la valeur en capitalisant sur la commodité, la durabilité et la demande croissante de produits qui favorisent la santé et le bien-être mental. Les marques qui connaissent une forte croissance, comme HiPro, Red Bull, Foodmaker et Actimel, y arrivent en innovant et en introduisant de nouvelles variantes.
Nous observons, par exemple, la forte croissance des produits fonctionnels contenant des protéines supplémentaires, celle des produits à base de plantes ou celle des alternatives non alcoolisées. Les Belges sont assurément prêts à payer quelques euros de plus pour ces produits bénéfiques pour la santé. Danone l’a bien compris et, après le succès d’Oikos, tient sa nouvelle star avec HiPro, l’une des marques affichant la plus forte croissance de ces dernières années, son chiffre d’affaires atteignant déjà 25 millions d’euros. Ainsi, malgré une sensibilité accrue au prix, les consommateurs sont prêts à payer plus du double par rapport à d’autres yaourts à boire. Cette attention particulière portée à la santé, à la durabilité et à la commodité se poursuivra certainement dans les années à venir, car la génération Z et les milléniaux sont encore plus disposés que les générations plus anciennes à ouvrir leur portefeuille pour cela.
La valeur se crée avec de la convenance, du durable et des produits qui favorisent la santé et le bien-être mental.
Tom Penninckx
Autre évolution notable : les supermarchés réduisent leurs gammes de produits non-food.
Les retailers choisissent en effet de donner moins de place aux produits non-food pour élargir leur offre de produits frais : fruits et légumes, plats préparés ou pain. Ce glissement a commencé il y a plusieurs années et 2024 a confirmé la tendance. De nombreux consommateurs achètent déjà les produits non-food et les produits santé & beauté dans des magasins spécialisés. Action, Kruidvat ... les retailers low-end progressent, tout comme l’e-commerce d’ailleurs. Les retailers classiques se désengagent quelque peu. La rotation des produits non-food étant plus faible, les retailers sont amenés à réfléchir à des compromis.
À quoi faut-il s’attendre en 2025 ?
Après avoir stagné en 2024, nous prévoyons que les prix des produits FMCG augmenteront à nouveau de plus de 4 % au dernier trimestre de l’année 2024 et d’un peu moins de 3 % en 2025. L’indicateur clé pour parvenir à cette conclusion est l’évolution de l’indice européen harmonisé des prix à la consommation (HICP). L’inflation des produits FMCG suit avec un décalage de 9 mois. Pour certaines catégories telles que le café et le chocolat, elle sera bien sûr beaucoup plus élevée en raison de la forte augmentation des prix des matières premières, sans compter que l’instabilité qui règne dans le monde peut encore fortement influencer les prix de certains produits.
En revanche, on ne s’attend guère à une croissance en volume des produits FMCG. Si l’on exclut la croissance en volume de 7 % en 2020, pendant la pandémie, la plus forte croissance de ces 15 dernières années a été observée en 2014 (+1,1 %). De plus, et fort heureusement, la réduction des déchets et donc des volumes, est un sujet de plus en plus présent. Par ailleurs, on peut s’attendre à ce que l’e-commerce poursuive sa croissance, lui qui connaît la croissance la plus rapide (+ 11,6 %). Vu que le marché en ligne des produits alimentaires est encore très peu développé en Belgique, la marge de progression est grande.
Grâce au panel NielsenIQ en ligne que nous avons récemment lancé, nous savons que certains canaux de vente en ligne de produits santé et beauté sont déjà très prisés des jeunes générations. Il sera intéressant de capitaliser sur ce point. Grâce aux données NielsenIQ Foxintelligence, nous constatons aussi que les produits de seconde main remis à neuf rencontrent un franc succès, avec Vinted comme porte drapeau. Un chapitre particulier de la global consumer survey est très instructif : à quels produits ou services les consommateurs du monde entier consacreront-ils moins d’argent ou, au contraire, ouvriront-ils plus largement le portefeuille ? Les principales victimes sont les divertissements out-of-home (cinéma, théâtre, concerts...) et les restaurants, que les consommateurs jugent trop chers. Ils prévoient de cuisiner et de se divertir davantage à la maison (62 %). Ils achèteront principalement des produits frais et sains, ainsi que des produits laitiers mais moins d’alcool et de plats préparés. Les plus jeunes – la génération Z et les milléniaux – sont encore davantage enclins à indiquer qu’ils aimeraient vivre plus d’expériences à la maison. Ils sont prêts à payer plus pour créer un moment ou une occasion spéciale.
Parmi les produits pour lesquels les consommateurs sont prêts à dépenser plus, on peut citer ceux contenant des protéines, les aliments à base de plantes, la bière sans alcool, les cocktails. Ce sont des produits qui devraient encore gagner en importance à l’avenir.
Source : Gondola