Analyse
15/10/25

[Interview] Geoffroy Gersdorff : « Pas de scénario Cora ou Delhaize chez Carrefour Belgique »

À l'occasion du 25e anniversaire de Carrefour en Belgique, le PDG Geoffroy Gersdorff considère le renforcement de l'autonomie locale, l'intrapreneuriat , les ouvertures dominicales, les exercices d'efficacité et les investissements en prix comme des leviers clés pour une croissance rentable. « Nous sommes une entreprise belge au sein d'un groupe international fort », souligne-t-il.

« Nous décidons en Belgique de ce que nous devons faire »

Les 25 dernières années de Carrefour en Belgique ont été une histoire d'essais et d'erreurs. Lorsque les Français ont pris le leadership du marché belge après le rachat de la Grande-Bretagne, ils l'ont fait en affichant des prix excessifs, sous un contrôle strict depuis la France et en privilégiant les hypermarchés. Cependant, le distributeur s'est rapidement retrouvé contraint à de douloureuses restructurations, rétrogradant à la troisième place. Aujourd'hui, Carrefour est à nouveau rentable et plus belge que jamais.

La meilleure illustration est Gersdorff lui-même : en 2022, il est devenu le premier PDG belge de la chaîne d’hypermarchés et de supermarchés. « Nous sommes une entreprise jeune, belge et engagée », souligne-t-il lors de l’interview. « Nous décidons en Belgique de ce que nous faisons pour les clients belges. C’est un pays très complexe. Il faut être Belge pour en comprendre les particularités. » Son plus grand défi : renouer avec la croissance. Carrefour est peut-être sorti du rouge, mais le PDG est conscient que la situation doit encore s’améliorer significativement. « Le dynamisme commercial est la priorité : nous avons besoin d’un chiffre d’affaires plus rentable. D’un côté, la croissance comparable doit être plus élevée et, de l’autre, les coûts doivent être réduits. Pour y parvenir, nous devons actionner les bons leviers. »

« Le savoir est dans les magasins »

Les premiers résultats sont visibles : « Ces dernières années, nous avons constaté une stabilisation et une nouvelle dynamique. C’est aussi grâce à la force du groupe qui nous soutient. Pour moi, l’étape la plus importante de ces 25 dernières années a été le lancement d’« Act for Food » en 2018. Une étape cruciale. Nous étions déjà très actifs, mais depuis, nous avons mieux démontré ce que nous faisons et pourquoi. De plus, notre écosystème est notre force : nous avons quatre formats de magasins et quatre solutions e-commerce. Avec BuyBye, nous avons le plus petit magasin du pays, et avec l’hypermarché de Mons, le plus grand. Le e-commerce connaît une croissance de 50 % cette année. Nous sommes leader du commerce rapide grâce à nos partenariats avec Deliveroo, Uber Eats et Takeaway.com. Nous pouvons orienter nos clients vers la meilleure offre à tout moment. »

Un magasin de proximité n'est pas un petit supermarché, et un supermarché n'est pas un petit hypermarché, explique-t-il. « Avec plus de 320 magasins Express, nous sommes incroyablement performants. Les jeunes consommateurs apprécient également la simplicité du format. Nous constatons que la concurrence suit le mouvement. » Le marché devient de plus en plus local : « Que recherche le client local ? Nous misons sur l'intrapreneuriat : chaque gérant de magasin peut adapter son offre pour devenir le magasin préféré de son quartier. Ils bénéficient d'une autonomie, et cela fonctionne : ils sont fiers. Avec un Albert Heijn dans son quartier, la concurrence est différente d'un Intermarché . » La relation avec les franchisés s'est également nettement améliorée. Ils bénéficient d'une grande liberté et Carrefour leur offre un cadre propice à l'entrepreneuriat. De plus, ils participent à des réunions importantes : « Le savoir-faire est dans les magasins. »

« Nous sommes déjà leader du marché le dimanche »

Et l'hypermarché a-t-il encore un avenir ? « Nos hypermarchés ne sont pas comparables à ceux de Makro ou Cora . ​​Avec une superficie moyenne de 6 500 m², ils sont beaucoup plus petits. Nous avons adapté notre offre : plus de produits frais, plus de solutions alimentaires et plus de services. La satisfaction client est en hausse. Notre offre non alimentaire se concentre sur la consommation courante et les produits de saison, et nous multiplions les promotions commerciales. Nous avons toujours des téléviseurs et des micro-ondes, mais en nombre réduit. Le commerce non alimentaire a énormément évolué. Nous n'avons pas de solution e-commerce pour le non-alimentaire : nous sommes trop tard et ce serait trop cher. »

L'ouverture dominicale sera un levier essentiel pour les hypermarchés et les supermarchés intégrés. « Nous sommes déjà leaders du marché le dimanche. Un euro sur trois est dépensé dans un magasin Carrefour le dimanche. C'est un jour crucial, il est donc essentiel que nos magasins soient ouverts le dimanche. Les discussions avec les partenaires sociaux sont constructives. Nous voulons tout mettre en œuvre pour éviter un scénario similaire à celui de Delhaize ou Cora. ​​J'espère que nous pourrons commencer ces ouvertures dominicales au début de l'année prochaine. » Le PDG a constaté que de plus en plus de supermarchés sont désormais ouverts sept jours sur sept, même si le gouvernement n'a pas supprimé le jour de fermeture légal. Il ajoute toutefois : « Je négocie sur la base de la législation en vigueur. »

« Nos offres s'appliquent à tous les clients »

La compétitivité des prix est également une priorité pour Carrefour en Belgique. L'enseigne a déjà mis en œuvre quatorze vagues de baisses de prix. « La perception des prix s'améliore et nos volumes augmentent à nouveau. Nous recevons des retours très positifs de nos clients et de nos partenaires franchisés concernant notre campagne « Price Biter ». Nous conservons également notre marque premium, Simpl, qui compte désormais 470 références, et d'autres suivront. »

La marque propre Carrefour compte désormais plus de 6 000 produits. Un produit sur deux vendu en caisse est une marque de distributeur. « Nous vendons une centaine de produits Carrefour chaque seconde. Et avec Carrefour Bio, nous proposons la marque de distributeur bio la plus complète et la plus abordable du pays. »

Les promotions restent également cruciales. « Nos offres s'appliquent à tous les clients, même ceux qui n'ont pas de carte de fidélité », précise Gersdorff avec subtilité. « Même si nous avons la carte de fidélité la plus prisée du pays, cette carte bonus nous permet de réaliser en moyenne 375 € d'économies par an. »

« Nos propres résultats sont notre meilleure garantie. »

Parallèlement, le comportement des consommateurs évolue radicalement et ne fait que s'accélérer. C'est pourquoi le distributeur doit continuer à innover à un rythme soutenu. « Nous renouvelons 20 % de notre gamme de produits chaque année. Les besoins et les habitudes alimentaires sont tellement variés aujourd'hui… À la même table aujourd'hui, on trouve un végétarien, une personne intolérante au lactose et une personne souhaitant augmenter son apport en protéines. » Il cite des innovations remarquables comme la confiture au collagène, le café protéiné ou encore la récente tendance TikTok, Franui, des framboises enrobées de chocolat.

Une autre forme d'innovation est la numérisation croissante. Les vendeurs ont accès à de nouveaux outils, par exemple pour les commandes basées sur les données. Un client sur deux utilise le scanner ou le paiement en libre-service. L'application permet une communication client plus personnalisée. « Dans les années à venir, l'importance de l'IA et des assistants virtuels ne fera que croître. Nous passons de la communication de masse à la communication personnalisée. »

Enfin, selon le PDG, l'avenir de la Belgique au sein du groupe, qui a récemment vendu l'Italie et mis en vente la Pologne, ne suscite aucune inquiétude. « Il est normal que le groupe évalue son portefeuille chaque année. Nous avons quitté la Chine, et en France et en Roumanie, nous avons acquis Match et Cora. ​​Nos propres résultats sont notre meilleure garantie pour l'avenir. »

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