Analyse
6/11/25

Dix ans après le tax shift, les ventes d’alcool s’évadent toujours plus à l’étranger

Vinum & Spiritus, la fédération sectorielle belge de l'industrie du vin et des spiritueux, s’inquiète face aux augmentations des accises qui ont poussé les consommateurs belges à davantage se rendre à l’étranger pour y effectuer leurs achats. Tant qu’ils y sont, ils remplissent leurs coffres d’autres produits. Et le paradoxe ultime est que ces hausses de taxes successives se traduisent par… une baisse des recettes fiscales.

Ce n’est pas un secret : suite à l'augmentation des taux d'accises, illustrée par le célèbre ‘tax shift’ intervenu voici 10 ans, les boissons alcoolisées sont devenues bien plus coûteuses en Belgique. Et Vinum & Spiritus le confirme à travers un exemple : là où le consommateur payait auparavant 13,72 € pour une bouteille de vodka moyenne, celle-ci lui coûte aujourd'hui 16,49 € dans notre pays. Soit une augmentation d'environ 20 %.  Au Luxembourg, cette même bouteille ne coûte aujourd'hui que 8,15 €, soit moins de la moitié du prix belge. Il n’est donc pas étonnant que cet écart de prix, combiné à ceux qui s’expriment dans d'autres catégories de produits, favorise les achats transfrontaliers.

©Vinum&Spiritus

La Fédération s’émeut de la « lasagne fiscale » toujours plus lourde que représente l'accumulation des taxes sur une seule bouteille, qui incite le consommateur belge à se mettre en quête d'alternatives moins chères, y compris de l'autre côté de la frontière. “ Le résultat ? Une situation perdante pour toutes les parties,” considère Vinum & Spiritus. Sachant que la moitié des consommateurs belges vit à moins de 50 km de la frontière, les magasins frontaliers en France, au Luxembourg et en Allemagne profitent pleinement de cette mesure.

Et bien entendu, si les alcools et spiritueux forment un excellent produit d’appel pour les supermarchés étrangers, le manque à gagner pour le commerce belge ne s’arrête pas là. Puisqu’ils ont fait le trajet, les Belges ne remplissent pas seulement leurs coffres de vin et de spiritueux, ils achètent aussi d'autres produits. Les chiffres de Fevia montrent qu'à la fin de 2024, les dépenses en alimentation et en boissons des résidents belges dans les pays voisins s'élevaient à pas moins de 745 millions d'euros. Les boissons alcoolisées et non alcoolisées sont cependant les produits qui représentent la plus grande part de marché (40 %) dans ces achats transfrontaliers. La valeur totale du volume d'alcool acheté par les Belges dans les pays voisins est en hausse constante depuis 2015. En 2024, la valeur totale aura augmenté de 36,56 millions d'euros par rapport à 2015, soit une hausse de 58 %.

Source : YouGov©Vinum&Spiritus

Le volume de spiritueux achetés par les Belges dans les pays voisins est désormais trois fois plus important qu'avant l'augmentation des accises (à l'exception des années marquées par la crise du coronavirus). Le volume des vins mousseux a doublé. Bien que la valeur totale des achats de produits alimentaires et de boissons effectués par les Belges dans les pays voisins ait légèrement diminué entre janvier et septembre 2025 par rapport à la même période en 2024, on constate que la part des vins et surtout des spiritueux augmente à nouveau fortement.

Un paradoxe fiscal : la hausse des taxes entraîne une baisse des recettes

L’augmentation des accises a-t-elle au moins permis de remplir les caisses de l’Etat ? Même pas, au contraire, explique Vinum & Spiritus : “Au cours des premières années qui ont suivi l'augmentation des taux d'accises, les recettes fiscales ont augmenté. Elles sont toutefois restées en deçà des prévisions, qui tablaient sur un supplément de 220 à 227 millions d'euros par an. À cela s'est ajoutée une perte de recettes de TVA, celles-ci s'étant déplacées vers les pays voisins. Depuis 2022, après le pic dû à la Covid-19, la tendance à la baisse des ventes de boissons alcoolisées en Belgique s'est poursuivie, passant même sous le niveau de 2015. Fin 2024, les recettes des accises, un indicateur des ventes en Belgique, ont chuté à 740,14 millions d'euros, soit une baisse de 38,01 millions d'euros par rapport à 2015. Une tendance qui se poursuit inexorablement en 2025. Fin septembre de cette année, les recettes fiscales étaient inférieures de 14,5 millions d'euros à celles de l'année précédente. Une perte sensible pour le gouvernement belge et pour les producteurs et commerçants belges qui subissent une forte pression économique. L'augmentation des achats transfrontaliers montre que la baisse des ventes en Belgique reflète principalement un changement dans le comportement d'achat, et pas nécessairement une modification de la consommation.”

Source : SPF Finances – Recettes totales©Vinum&Spiritus

La Fédération ajoute encore que la  perte réelle pour le Trésor belge ne se limite pas seulement à une baisse des recettes provenant des accises et de la TVA : “ L'impact de l’évasion de la consommation vers l’étranger se fait également sentir sur les recettes provenant de l'impôt sur les sociétés, des retenues à la source et même des cotisations sociales. La Belgique perd non seulement des taxes qui vont aux pays voisins, mais aussi de la main-d'oeuvre belge qui se déplace vers les pays voisins, car ceux-ci créent davantage d'emplois afin de répondre à la demande accrue des clients belges.” Pire encore, cette situation pénalise et fragilise les producteurs et commerçants locaux. “Selon les rapports annuels de l'IWSR, la part des spiritueux produits localement dans le volume total des ventes de spiritueux en Belgique affiche une tendance à la baisse constante. En 2014, 15,2 % des spiritueux vendus en Belgique et au Luxembourg étaient produits localement. En 2024, ce chiffre n'était plus que de 8,3 %, soit une baisse de 45,4 %. Les acteurs locaux, qui opèrent principalement sur le marché belge, sont les premiers à subir l'impact négatif de l'inégalité de traitement fiscal sur leurs propres revenus et leur rentabilité, avec un effet domino sur les chaînes d'approvisionnement locales et l'emploi en Belgique.”

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