C’est un sacré baptême du feu qui a accueilli le nouveau CEO, Stefan Goethaert, qui n’a pas tardé à s’attaquer à une foule de chantiers ouverts. En dehors de l’actualité et d'une pression commerciale continue, il a totalement réaménagé les activités "secondaires" de Colruyt, vendant une grande partie de la branche non-alimentaire, remettant de l'ordre en interne, et procédant aux acquisitions nécessaires pour maintenir la position de leader sur le marché belge. (1)
La légère baisse de parts de marché (29.3 vers 29 %) est néanmoins une première dans son histoire. Le retailer belge choisit la performance avant tout, plus que le volume. Avec un marge nette de 3.3 < 3.4 % Colruyt reste dans le peloton de tête des retailers les plus performants en Europe, même si les comparaisons sont difficiles. Le dernier distributeur belge reste donci le numéro un de notre marché national. Ce qui est loin d'être une assurance tous risques dans un marché traversé par un mouvement de consolidation européenne.
Une pépite belge : à l'achat ou à la vente ?
Les grands coups stratégiques des dernières années de Jef Colruyt se situaient davantage dans l'énergie et les biotech que dans le retail proprement dit. La stratégie de Stefan Goethaert se recentre sur le commerce alimentaire, et sur le commerce en Belgique, à la fois via les acquisitions faites sur notre marché et la revente du volet retail français déficitaire. La complémentarité des activités "health" reste à prouver : comment Jims, Newpharma et Food bag peuvent-ils significativement soutenir les activités retail qui pèsent des milliards ?
Le dernier Belge a donc des chances de le rester. Mais le groupe ne devra pas tarder à se renforcer s'il veut rester autonome
Pierre-Alexandre Billiet
Colruyt Group est devenu plus cohérent, lisible, compréhensible, il représente un petit bijou qui serait très attractif pour des acquéreurs, même si une telle hypothèse est assez improbable, compte tenu des convictions de la famille Colruyt. Le dernier Belge a donc des chances de le rester. Mais le groupe ne devra pas tarder à se renforcer s'il veut rester autonome. La co-création de la centrale d'achat européenne Vasco est un bel exemple d'un premier pas vers son internationalisation face aux géants européens.
Comment "dépenser" 600 millions d'euros ?
La situation de la trésorerie reste énigmatique. En pourcentage par rapport à son chiffre d'affaires, le cash de Colruyt est comparable à celui de retailers internationaux bien plus grands...sauf que ses activités sont essentiellement limitées à la Belgique. Est-ce que Colruyt prépare un grand coup en vendant aujourd'hui ses activités françaises? Le retailer néerlandais Jumbo, par exemple, est convoité par plusieurs chaînes, et serait valorisé par Gondola (sur base de l'ebit normalisé) à +/- 1.5 milliard d'euros. Très mal accueilli par toute la superstructure économique et politique aux Pays-Bas quand il voulut s’y implanter voici quinze ans, avant de se voir frontalement attaqué sur notre marché par un Albert Heijn dont la présence opportuniste (sans appareil logistique) ne gêna pas une seconde les pouvoirs politiques belges, l’opération aurait valeur de revanche. Mais est- ce qu'acquérir 740 magasins et 44.000 employés au Pays-Bas est dans l'ADN de Colruyt ? Pas du tout : dans cette maison où la culture d’entreprise est si forte et si indispensable pour appliquer les fondamentaux nécessaires au succès de son positionnement, on ne croit pas trop aux greffes majeures. Mais quand nécessité fait loi et que de vraies opportunités se présentent, le moment peut être venu de se départir de sa légendaire prudence. Le nouveau CEO, Stefan Goethaert, a déjà démontré qu’il était capable de trancher et prendre de vraies décisions stratégiques, avec l'aval de Jef Colruyt. Autre hypothèse, celle d’un rapprochement encore plus poussé avec Superunie (qui a rejoint la nouvelle centrale d'achat Vasco)? Colruyt en a-t-il besoin ?
Sponsor de la Belgique
Dans son rapport annuel, Colruyt souligne qu’il apporte plus de "1000 millions" au Trésor belge. Le message est clairement politique, et à juste titre. Comment des entreprises belges, qui investissent en Belgique, créent de l'emploi et participent à la dynamique économique sur toute la filière locale peuvent recevoir aussi peu de respect de la part des instances gouvernementales fédérales et régionales ? Le Groupe a l’élégance de ne pas le rappeler, mais parmi les raisons de sa (légère) baisse de parts de marché, il faut citer les ouvertures du dimanche, qui lui causent, plus qu’à quiconque, un vrai préjudice commercial. Le manque d'alignement du secteur risque de coûter cher à la Belgique, bien au-delà de l'apport annuel de Colruyt… La contribution fiscale du Groupe pourrait être décrite comme l’offre d’un montant de 87€ à chaque habitant belge, ce qui représente un joli petit caddie bien rempli. Merci les prix bas, merci Colruyt. Mais ne comptez pas trop que cette situation se prolonge avant que le “local hero” et leader du marché belge n’exige que les contraintes et les conditions de marché soient pareilles pour tous.
(1) Colruyt a repris 54 Match et Smatch, racheté 41 Delitraiteur, acquis la totalité de Foodbag, vendu 75% de Dreamland à Toychamp, vendu Dreambaby à Supra Bazar. Dats 24 est logé sous Virya Energie. Le portefeuille d’activités en France restent significatif, en particulier dans le foodservice et grossiste, où Codifrance a repris Degrenne distribution. Seuls les magasins intégrés Colruyt Prix Qualité sont cédés.
Gondola