Analyse
4/12/25

Carrefour envisage de quitter la Belgique

La chaîne de supermarchés française Carrefour envisage de quitter la Belgique. Après des années de pertes, une vente de la filiale est envisageable. C'est du moins l'information choc publiée ce matin par L'Echo et le Tijd.

Le départ de Carrefour entraînerait un bouleversement dans le secteur belge de la distribution, mais n'est pas exclu. Après des années de pertes, le groupe réexamine ses activités belges, rapportent De Tijd et L'Echo. Carrefour Group a récemment indiqué vouloir se concentrer sur trois marchés : la France, l'Espagne et le Brésil. La Belgique n'a pas été mentionnée. Un signe avant-coureur. Dans d'autres pays que le groupe ne considère pas comme prioritaires, il a vendu ses magasins ou les a mis en vente. Ses activités en Pologne et en Roumanie, entre autres, sont à vendre, et Carrefour envisage également de se retirer d'Argentine.

Dans son rapport annuel, la maison mère française a souligné à plusieurs reprises ces dernières années les faibles performances de notre pays. L'année dernière, un revirement semblait se profiler, mais il était principalement dû aux problèmes et aux troubles sociaux chez Delhaize. Alors que l'inflation augmentait fortement, le chiffre d'affaires est resté stable ces dernières années, autour de 4 milliards d'euros. Cela laisse supposer que la chaîne a vendu moins. Depuis 2021, la société belge de Carrefour est déficitaire. Ces dernières années, cette perte a toutefois diminué. L'année dernière, elle s'élevait encore à 2,9 millions d'euros.

Avec son départ éventuel, Carrefour semble être victime de la concurrence acharnée sur le marché belge. Intermarché et Albert Heijn bouleversent le marché, ce à quoi la chaîne française a du mal à répondre. Les prix bas et les promotions agressives des autres acteurs sont difficiles à suivre pour Carrefour. Delhaize est confronté au même problème, mais parvient à mieux le gérer grâce à un marketing intelligent et à un service amélioré. Ainsi, les magasins Delhaize sont ouverts le dimanche et les commandes en ligne sont livrées à domicile sans frais supplémentaires. Carrefour a annoncé son intention d'ouvrir également le dimanche, mais cela semble arriver trop tard.

Son départ éventuel serait une grande perte pour le commerce alimentaire belge. Carrefour est aujourd'hui la troisième chaîne de supermarchés de notre pays, après Colruyt Group et Delhaize. Il compte 40 hypermarchés, 349 supermarchés Carrefour Market et 323 magasins de quartier Carrefour Express. Seuls les hypermarchés et 43 supermarchés appartiennent à Carrefour, les autres sont gérés par des entrepreneurs indépendants. Au total, 6.033 FTE's travaillent chez Carrefour Belgique, selon le Gondola Retail Scan.

Une hypothèse qui soulève malgré tout bien des questions

Que le Groupe Carrefour éprouve le souhait, à défaut d'une intention confirmée, de se dégager du marché belge est une chose. Et elle reste même à prouver : les premiers échos internes semblent infirmer ce scénario (voir ci-dessous). Mais à supposer qu'elle se confirme, comment une telle hypothèse pourrait-elle se dérouler pratiquement ? C'est là qu'un tel scénario se complique singulièrement. Il nous revient en mémoire une conversation en "off the record" tenue avec un responsable français du groupe voici un peu plus de 15 ans, avant même la crise et la restructuration de 2010, à qui nous avions posé cette question traditionnelle : "Presque dix ans après votre arrivée sur le marché belge, envisagez-vous de le quitter ?" La réponse, presque une boutade, nous avait surpris par sa franchise : "Si vous connaissez une partie intéressée, n'hésitez pas à la diriger vers nous, nous vous en serions reconnaissants. Nous n'en avons identifié aucune."

II semble déjà exclu d'envisager un scénario où l'entreprise et tous les formats qu'elle couvre serait absorbée de façon globale par un seul acteur de grande taille. Un groupe de distribution étranger absent du marché belge qui voudrait y prendre pied ? Le temps des cowboys texans de Penney débarquant de leur jet couverts d'un stetson pour venir reprendre les magasins Sarma n'est plus d'actualité. Nous ne sommes plus dans les trente glorieuses euphoriques. Une telle opération n'est à la portée que d'une entreprise importante, cotée en bourse, et il est fort peu probable que la reprise globale d'un tel ensemble serait accueillie favorablement par les investisseurs. Pourquoi se risquer dans une telle opération, alors que le propriétaire actuel ne verrait lui-même plus l'intérêt de se maintenir sur ce marché ? Significativement, les repreneurs potentiels évoqués aujourd'hui dans le dossier de la vente de Carrefour Pologne sont des acteurs déjà présents sur ce marché.

Bien sûr, on a vu récemment des pans entiers du retail français, et en particulier dans le parc du groupe Casino surendetté, basculer vers des concurrents, et Intermarché en particulier. Mais il y avait là un contexte purement français, celui d'une course à la part de marché dans le retail alimentaire français. Que gagneraient ces retailers à acquérir 14% de parts de marché à la rentabilité incertaine dans un marché où ils sont absents, et dont ils ne maîtrisent pas la logique ?

Quant à l'hypothèse d'une reprise globale par un acteur du marché belge, elle est tout aussi improbable. L'issue du dossier des enseignes du groupe louis delhaize est là pour le prouver. Delhaize a acquis les seuls magasins de proximité louis delhaize, et le leader Colruyt a certes mis la main sur Delitraiteur et sur une série de magasins Match et Smatch, repris de façon individuelle, mais il s'est gardé de reprendre l'entreprise elle-même : on est très sensible chez Colruyt à la culture d'entreprise, et convaincu qu'elle n'est pas forcément soluble dans celle du repreneur. Les 7 hypermarchés Cora sont eux restés sur le carreau. Pourquoi ceux de Carrefour, même s'ils répondent à d'autres caractéristiques, auraient-ils plus de succès ? Et d'autant plus qu'en France, Carrefour tâche de transmettre la responsabilité de ces hypers à des indépendants via la formule de la location-gérance.

Reste bien sûr l'hypothèse d'une autre "vente par appartements". En particulier celle du réseau des Carrefour Market et Carrefour Express exploités par des indépendants. La taille de ce réseau est telle qu'il n'est pas évident, pour une enseigne déjà active sur le marché belge, qu'elle se produise sans cannibaliser les ventes de ses franchisés actuels.

Bref, l'annonce faite ce matin par nos confrères du Tijd et de l'Echo soulève bien plus de questions que de certitudes, à tel point qu'il faut encore la considérer avec prudence.

EXCLUSIF GONDOLA

Quitter la Belgique ? Carrefour réagit en interne

le géant français Carrefour reconsidère sa présence dans notre pays. Partout, les titres de presse annoncent que Carrefour envisagerait de quitter la Belgique. Mais qu’en dit Carrefour ? Voici la réaction de l’enseigne.

À la suite des remous provoqués par cette annonce dans la presse, Carrefour a tenu à rassurer ses équipes. Gondola s'est procuré un message interne circulant dans l'entreprise ce matin, et destiné au personnel. Il précise : “Ces articles reposent sur des hypothèses erronées et beaucoup de spéculations. La situation réelle est très différente de ce qui est suggéré.” Le message ajoute : “En ce moment même, le directeur et moi-même assistons à la réunion de direction où sont présentés les plans stratégiques pour 2026-2028. L'accent est mis sur notre dynamique et notre avenir, et non sur le discours véhiculé par la presse. Geoffroy Gersdorff a également réaffirmé clairement que Carrefour restait en Belgique. Notre engagement envers nos équipes et nos clients n'a pas changé et ne changera pas.”

Les signaux qui rendent un départ (un peu) crédible

Si la division belge du retailer français dément les rumeurs selon lesquelles Carrefour quitterait la Belgique, cette hypothèse pose aujourd’hui pas mal de questions dans le microcosme de la distribution. Si rien n’est encore fait, trois signaux pourraient expliquer le timing du scénario évoqué ce matin par De Tijd et L’Echo.

1. Une impasse stratégique qui s’aggrave

Depuis la perte de Mestdagh, « Carrefour se retrouve fragilisé en Belgique, évoque le CEO de Gondola. Le groupe a ainsi perdu une division qui représentait 694 millions d’euros de chiffre d’affaires, le reléguant loin derrière Delhaize et Colruyt. Malgré un management local salué pour avoir redressé la barre, Carrefour Belgique ne parvient pas à redevenir un véritable succès commercial. »

Le groupe français a éprouvé des difficultés à rentabiliser l’activité dans un marché particulièrement concurrentiel, en particulier dans les hypermarchés, dont la structure de coût est élevée. Il a mené plusieurs restructurations, d’où la perte importante de 2010 (-170,9 millions d’euros), et une période post covid difficile. Il a plutôt globalement stagné. Toutefois, les ventes TTC étaient en légère hausse sur les 9 premiers mois de 2025 (3.238 millions d’euros), avec + 2,1% en LFL (1) « Cette progression continue de l’activité traduit le succès des initiatives commerciales et la résilience du modèle multiformat unique de Carrefour Belgique malgré un environnement marqué par une forte pression concurrentielle » indique le communiqué Q3 du groupe.

La situation du retail belge renforce l’urgence. Le secteur traverse une période de turbulences qui impose des décisions rapides. « Dans ce contexte, analyse Pierre-Alexandre Billiet, l’absence de choix clair (notamment sur la réorganisation du réseau) équivaut déjà à une orientation tacite : sans action forte, la sortie du marché devient l’option logique. Et Carrefour n’est pas connu pour les demi-mesures : lorsqu’il quitte un pays, cela se fait vite et sans effets d’annonce. »

Carrefour Belgique
©Les finances de Carrefour Belgique

2. Un handicap social lourd qui décourage l’investissement

Carrefour porte encore le poids de ses « démons sociaux ». Le différentiel entre commissions paritaires illustre cette contrainte : plus de 30 € de l’heure en CP 312 pour les hypermarchés, contre environ 18 € dans la CP 021 utilisée par les franchisés. Une distorsion qui pénalise fortement la compétitivité des magasins intégrés et grippe toute tentative de transformation.

« Pour la maison mère, injecter des moyens dans un marché où les charges passées continuent d’handicaper l’avenir n’a plus de sens, enchaîne le CEO de Gondola. Alexandre Bompard privilégie la clarté stratégique et n’hésite pas à acter des pertes plutôt que de financer des restructurations incertaines ». La Belgique apparaît isolée et, Alexandre Billiet craint que « Paris ne vienne pas remettre au pot, comme l’ont montré les précédentes vagues de restructurations: près de 1.100 suppressions d’emplois en 2010, plus de 1.000 en 2018 ».

À titre de comparaison, Delhaize avait nécessité plus d’un demi-milliard d’euros pour sa transformation. Un effort que Carrefour France ne semble plus disposé à reproduire.

3. Un actif attractif… mais plombé par ses « casseroles »

Paradoxalement, Carrefour Belgique reste une belle cible. Le réseau est dense, les magasins sont de mieux en mieux gérés, et le modèle hybride  (hypermarchés, supermarchés, proximité) correspond à ce que recherchent aujourd’hui la plupart des distributeurs. Des atoutspotentiel pour une mise en vente (même si ce ne sera pas facile). « Mais un obstacle majeur subsiste, continue le patron de Gondola : la charge sociale. Les candidats potentiels s’intéresseraient aux magasins, au parc, au positionnement, mais pas aux surcoûts hérités du passé. En clair, l’actif pourrait attirer mais ses obligations refroidiraient inévitablement. Le dilemme est posé : pour qu’une cession soit possible, il faudrait dissocier la valeur du réseau de ses contraintes historiques ».

C.C. Avec R.V.A

Gondola

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