Suivez l'actualité du secteur en temps réel !
Inscrivez-vous à notre newsletter

Je deviens membre

"Les volumes seront davantage sous pression à l’avenir ”

Catégorie

Actualité

Publication

25/01/2023

"Les volumes seront davantage sous pression à l’avenir ”

Les coûts élevés de l’énergie et l’inflation exercent une pression sur le COMMERCE ALIMENTAIRE. Non seulement sur les volumes et les marges, mais aussi sur l’évolution des habitudes de consommation. Un entretien avec Davy Van Raemdonck, directeur du consumer panel chez GfK Belgique et Pays-Bas.

Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?

Je pense que nous avons vécu une année très mouvementée. Outre la géopolitique, de nombreux événements sociaux et économiques ont chamboulé le marché. La hausse des prix de l’énergie et l’inflation ont eu un impact important sur le porte-monnaie des consommateurs, mais aussi sur la relation distributeur-fabricant, qui a subi une forte pression. Les négociations entre les deux parties sont menées tambour battant, et des produits ont disparu des rayons à plusieurs reprises. Bien que des études aient montré que les ruptures de stock ne profitent ni au retailer ni au fabricant, la partie est musclée et chacun essaye d’en tirer le meilleur parti. 

Est-ce la première fois que les négociations sont si difficiles ?

De telles situations se sont déjà produites par le passé, mais elles étaient plutôt liées à des cas particuliers. En revanche, aujourd’hui, elles sont devenues la norme : alors qu’il s’agissait auparavant d’un cas isolé, plusieurs fabricants font aujourd’hui état de négociations très difficiles avec différents retailers. En ce sens, la situation est différente des années précédentes. Il s’agit là désormais d’un phénomène structurel. 

Un cas de figure que nous verrons plus souvent à l’avenir ?

Je pense, mais j’espère que ce ne sera pas dans des circonstances similaires. J’espère qu’il y aura plus de place pour un ‘partenariat constructif’ entre les deux parties, où il n’est pas seulement question de prix mais également de contenu. Et où la gestion nécessaire des catégories peut être effectuée conjointement pour donner aux catégories, aux marques et aux marques de distributeurs le bon coup de pouce, de la bonne façon, et où les besoins spécifiques du consommateur peuvent être réellement satisfaits.

Ces besoins ont changé en raison des prix élevés de l’énergie et de l’inflation...

C’est vrai. Avec la crise actuelle, les consommateurs surveillent de plus près leur porte-monnaie et sont plus attentifs aux prix. Cela les amène à faire leurs achats différemment et à se tourner vers les marques de distributeur et les discounters. La part de marché du hard discount, qui a considérablement augmenté depuis sa création mais qui s’est brièvement stabilisée en raison de la crise du coronavirus, repart à la hausse car les prix bas sont à nouveau importants, ce qui joue en faveur des acteurs un peu plus orientés vers les prix. D’autre part, la fréquence d’achat est également sous pression, ce qui n’est pas une donnée négligeable pour les distributeurs et les fabricants. La fréquence à laquelle votre marque ou votre catégorie a une chance de terminer dans le panier d’achat diminue d’année en année. Vous devez donc déployer davantage d’efforts pour convaincre les consommateurs.

Les consommateurs se tournent de plus en plus vers les discounters, mais comment les marques réagissent-elles ?

Cela dépend des acteurs. Certains acteurs continuent à faire de la publicité de manière anticyclique et investissent davantage, certainement en coulisses, pour se préparer à l’avenir, et ce même en temps de crise. A contrario, d’autres entreprises qui sont déjà un peu en difficulté et qui font face à une conjoncture incertaine vont se montrer un peu plus prudentes. Des économies qui peuvent se faire au détriment de l’innovation et de la communication. Il s’agit d’un cocktail dangereux car ces deux éléments sont justement à l’origine de la réussite : en tant que marque, il faut continuer à innover suffisamment et communiquer sur les avancées pour convaincre les consommateurs.  

Les marques plus chères risquent-elles de connaître des difficultés à cause de la crise ? 

Pas nécessairement. Aujourd’hui, les produits premium sont justifiés si les consommateurs en ont pour leur argent. Il ne s’agit donc pas seulement du prix, mais également des valeurs ajoutées qu’offre une marque haut de gamme. Même s’il est aujourd’hui plus difficile de convaincre les consommateurs de cette valeur ajoutée, car ils s’intéressent désormais davantage au prix. Une bonne communication sera donc essentielle. Je pense d’ailleurs que les marques coincées dans le segment du milieu de gamme seront les plus bousculées. Elles disposent souvent de moins de ressources et donc d’un budget plus limité pour actualiser leur gamme et déployer des efforts supplémentaires en matière de communication pour sortir du marché du milieu de gamme. Souvent, elles ont aussi un peu moins de pouvoir de négociation avec les détaillants, ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas répercuter toutes leurs augmentations de coûts sur les détaillants et les consommateurs, ce qui leur complique également la tâche au niveau des marges. Être capable de redoubler de créativité est donc un avantage certain.

Vous avez indiqué que les consommateurs privilégient davantage les produits bon marché, mais vont-ils également acheter moins ? 

Actuellement, les volumes sont sous pression. Nous sommes bien entendu dans une situation atypique : en 2020, le coronavirus a donné un coup de fouet au marché, générant une croissance de 13 à 15 %. Il y a eu une légère baisse l’année dernière, mais c’est un effet post-coronavirus logique. Actuellement, cette baisse ne se ressent pas sur la valeur, mais cela s’explique évidemment par la hausse des prix. En revanche, les volumes sont en baisse. Une baisse quelque peu compensée par la hausse des prix, permettant au marché de rester stable, mais qui n’efface pas la pression sur les volumes. Et je pense que ce n’est qu’un début. En examinant les différents types d’acheteurs, on constate que ce déclin du marché s’observe actuellement principalement chez les ménages aisés. Cette conclusion à priori contre-intuitive s’explique par le fait que, actuellement, les ménages aisés consomment proportionnellement plus à l’extérieur du foyer que l’année dernière. Et, d’autre part, par le fait que les ménages moins aisés maintiennent leur consommation en valeur, mais pas en volume. Néanmoins, je m’attends à ce que la crise et les préoccupations grandissantes des ménages par rapport à leur situation financière amènent les consommateurs à réduire leurs dépenses, réduisant ainsi leurs volumes de consommation domestique, même pour les plus aisés. En ce sens, les commerçants et les fabricants vont devoir livrer une bataille supplémentaire pour remporter ces volumes, et donc l’argent dépensé.

Les marques du segment intermédiaire ont le plus de difficultés. Elles disposent de budgets plus faibles pour les innovations et la communication ; elles ont aussi moins de pouvoir dans les négociations avec les retailers, ce qui les empêche de répercuter toutes les hausses de coûts. Tout ceci complique leurs efforts de maintien de la marge.  

Une arme dans cette nouvelle bataille pour remporter les volumes peut être les prix bas. Mais les retailers et les marques peuvent-ils encore maintenir leurs prix aussi bas que possible ?

Non, surtout si l’on considère les marges du commerce de détail : elles étaient déjà faibles, mais elles sont encore descendues à 1,5-2% ces dernières années. Vous ne pouvez pas faire grand-chose si vous commencez à fonctionner à perte, ce qui n’est évidemment plus viable pour assurer votre survie à long terme. De plus, dans un paysage de vente au détail fortement saturé, la lutte pour les consommateurs n’a fait que s’intensifier. Les promotions et les prix bas quotidiens sont ainsi des moyens de s’approprier les consommateurs, ce qui deviendra de plus en plus important à l’avenir. D’autant plus que les factures énergétiques mensuelles, combinées à l’emprunt, pèseront lourd sur le budget disponible des ménages. Auparavant, les consommateurs dépensaient entre 1.000 et 2.000 euros pour l’énergie et 5.000 euros pour les PGC. Actuellement, le coût de l’énergie est plus élevé que celui des PGC, qui constituent pourtant l’un des deux principaux paramètres du budget familial, avec le prêt ou le loyer. Avec un troisième paramètre en jeu, les consommateurs devront faire des choix très ciblés s’ils veulent conserver une certaine qualité de vie. 

Les promotions peuvent aider, mais qu’en est-il en ces temps difficiles ? 

Les promotions restent un moyen pratique d’attirer les consommateurs. En moyenne, une marque attire environ 13 % de ses acheteurs grâce aux promotions. Cependant, en ces temps difficiles, la pression de la promotion a un peu baissé. Et la quantité minimale à acheter pour bénéficier d’une promotion a également légèrement diminué, sauf pour les marques de distributeurs où elle a légèrement augmenté. En ce sens, l’objectif est de proposer une quantité suffisante pour convaincre les consommateurs de profiter de la promotion, tout en ayant la capacité de commercialiser les volumes nécessaires. Je pense qu’en raison de la lutte qui se joue aujourd’hui, les promotions resteront un outil important mais que, à quelques exceptions près, ces tendances plus fortes de promotions toujours plus agressives vont disparaître. En effet, des résultats et des études ont montré que les promotions les plus agressives ne sont pas toujours les meilleures : pour séduire les acheteurs, il faut proposer les bonnes promotions au bon moment. 

Outre l’accent sur les prix bas, avez-vous observé d’autres tendances l’année dernière ?

Oui. Beaucoup d’entreprises se concentrent sur la durabilité. Elles sont réellement conscientes que c’est un aspect important pour les acheteurs. Ce sont des types d’investissements dont la mise en œuvre sur le marché prend du temps, et les entreprises sont conscientes qu’elles doivent prendre des initiatives dès maintenant pour pouvoir générer l’impact nécessaire à long terme et obtenir le retour escompté. Avec la crise actuelle, la durabilité passe peut-être quelque peu au second plan, mais ce n’est que temporaire, elle redeviendra une priorité. D’ailleurs, je m’attends à ce que le groupe de consommateurs qui font des achats durables grandisse à long terme, même s’il connaît actuellement un léger déclin en raison de la hausse des prix. 

Un autre facteur qui se démarque est l’e-commerce. Pendant la crise sanitaire, il était en plein essor, même s’il n’a pas atteint sa pleine mesure à cause des problèmes d’approvisionnement. Maintenant que le coronavirus est derrière nous, le commerce en ligne stagne en Belgique, alors que tout le monde le pensait définitivement sur sa lancée. En outre, dans d’autres pays un peu plus avancés en matière d’e-commerce, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, la part de marché du canal électronique est en légère baisse. Je suis très curieux de voir si la tendance sera la même en Belgique, un pays un peu en retard en la matière, ou si le commerce électronique continuera à évoluer au fil des générations. Je pense que ce sera le cas, car le commerce en ligne est là pour rester et ne pourra que se développer, mais sa croissance sera vraisemblablement plus lente que l’accélération à laquelle nous avons assisté. Cela s’explique par le fait que les achats en ligne ne sont pas encore une nécessité, notamment en raison de la forte densité de supermarchés dans notre pays, mais également en raison de l’important groupe de ménages de plus de 50 ans qui préfèrent faire leurs achats dans des magasins physiques et éviter les coûts de service plus élevés. Si Internet, et l’omnicanal en général, prennent de plus en plus de place, il faudra probablement un certain temps avant que les différentes générations ne passent progressivement de l’achat en ligne pur à un mode d’achat hybride, où achats en ligne et hors ligne s’entremêlent. 

Quelles sont vos prévisions pour 2023 ?

Difficile à dire, l’avenir n’a jamais été aussi incertain. Nous avons connu des hauts et des bas ces deux ou trois dernières années et, avec tout ce qui se passe sur le front géopolitique, l’incertitude s’est encore accrue. Pour l’instant, il est difficile d’estimer combien de temps durera la guerre en Ukraine et quel sera son impact sur les prix et les disponibilités des matières premières. Mais une chose est sûre : elle sera largement déterminante pour 2023. En outre, le niveau des prix et la possibilité de le répercuter seront également importants, sans certains acteurs auront à nouveau des difficultés pour maintenir leurs marges. Tous ces éléments détermineront l’avenir de certaines catégories ou marques.

Personnellement, je m’attends à ce que les volumes subissent une pression supplémentaire, peut-être en partie due au segment ‘out-of-home’, où il y a encore du retard à rattraper. D’un autre côté, la hausse des prix pourrait aussi pousser les consommateurs à surveiller davantage leurs dépenses et faire des choix ciblés. Plus la situation actuelle perdurera, plus elle jouera en faveur des marques de distributeur et des discounters. Cependant, à mesure que la marge de manœuvre financière des familles augmente, les marques ont encore des possibilités. D’ailleurs, je ne pense pas que certaines catégories et marques qui sont très fortes aujourd’hui enregistreront un déclin soudain, maintenant que nous traversons une crise socio-économique. Les marques qui apportent une valeur ajoutée, que ce soit en matière d’image de marque ou de durabilité, parviendront toujours à convaincre les consommateurs de payer ce prix supplémentaire.

Le passage des marques A aux marques de distributeur aura-t-il un impact à long terme ?

C’est possible. Une fois que certaines étapes sont franchies, comme le passage d’une marque A à une marque de distributeur ou d’une marque de distributeur à un ‘private label’ de hard discounter, il y a rarement un retour en arrière. Même si l’impact dépend également de la catégorie : dans certains cas, les marques de distributeur ont une part de marché limitée, alors que dans d’autres, elle est déjà de 80% ou plus. Une fois que les consommateurs auront franchi le pas vers les marques de distributeur et seront convaincus du rapport qualité-prix, il sera difficile pour les marques de les reconquérir, à moins de proposer de nouveaux concepts ou des innovations. Et plus une telle situation perdurera, plus les consommateurs auront confiance en la marque de distributeur et plus ils l’intégreront dans leurs habitudes d’achat. 

Pour terminer, y a-t-il des choses que vous attendez avec impatience ? 

D’une part, en matière d’expérience globale, l’évolution du concept de blurring et la possibilité de pouvoir consommer dans le magasin. Ce n’est pas encore très répandu dans notre pays, mais je pense que cela viendra. Cette solution pourrait permettre aux grands supermarchés ou aux hypermarchés de mieux optimiser leur espace disponible en élargissant l’expérience d’achat, ce qui inciterait les clients à rester plus longtemps dans le magasin. 

Deuxièmement, je suis curieux de voir l’évolution de l’approche en matière de gestion des catégories. Compte tenu de la situation actuelle, les commerçants devront faire des choix nettement plus ciblés quant à l’inclusion de certains produits dans leur gamme. Ils devront utiliser davantage les données clients pour optimiser les rayons et la surface disponible afin de répondre aux besoins des clients d’une part, et d’obtenir le rendement nécessaire de l’espace de vente disponible d’autre part.

Par ailleurs, je me demande comment évoluera la saturation du marché et quel impact aura finalement la pression sur les marges. 2023 sera sans aucun doute une nouvelle année palpitante et dynamique pour le paysage du retail belge.