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“Les retailers fixent les prix en rayon, pas les marques”

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Actualité

Publication

04/12/2023

“Les retailers fixent les prix en rayon, pas les marques”

En marge de la publication début octobre du baromètre annuel de l’AIM (European Brands Association), sa directrice, Michelle Gibbons, s’est confiée à Gondola. “Les retailers sont en position de force pour fixer tous les prix à la consommation pour chaque produit présent dans leurs rayons”, rappelle-t-elle notamment.

L'AIM, l’association européenne des marques, a récemment mené une enquête auprès de 900 fabricants de biens de consommation dans 28 pays d’Europe. Il en est ressorti que, contrairement au sentiment général que le plus fort de la crise inflationniste est derrière nous, l’environnement commercial demeure difficile pour une grande partie des industriels, tandis que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement continuent à leur poser des problèmes.  “L’ampleur des perturbations qui ont touché tout le monde - donc pas seulement un fabricant, mais tous, et tous en même temps - comme la guerre en Ukraine, a nécessité des mois de réorganisation qui ont eu un impact considérable sur l’organisation de la production, tout comme sur l’approvisionnement”, explique Michelle Gibbons, directrice générale de l’AIM.  “Et ce, alors que nos chaînes d’approvisionnement sont, en temps normal, très efficaces car la production est planifiée longtemps à l’avance, nos cycles de planification pouvant aller de 2 à 3 ans. Pensez à l’impact cumulé de l’approvisionnement en ingrédients, de l’emballage, du transport, etc.” Ainsi, 72 % des entreprises interrogées disent être toujours confrontées à des difficultés d’approvisionnement, un chiffre en baisse d’à peine 3 % par rapport à  l’année dernière, ce qui a conduit 49 % des fabricants à réduire ou à diminuer leur production. Par ailleurs, 42 % d’entre eux ont dû modifier l’emballage, tandis que 52 % ont été confrontés à des pénuries de main-d’œuvre. Enfin, des coûts imprévus ont affecté 78 % des fabricants, les contraignant à adapter leur production.

Les retailers pointés du doigt

En ce qui concerne les augmentations de coûts, ce ne sont pas moins de 99 % des entreprises interrogées qui affirment avoir connu une forme ou une autre d’inflation au cours des 12 derniers mois : composants/ingrédients, énergie, transport, logistique, emballages, etc. Peut-être encore plus impressionnant, plus de la moitié d’entre elles ont rencontré une inflation de l’ensemble de leurs coûts supérieure à 50 %. L’inflation a même été de plus de 80 % pour un cinquième des entreprises (22 %), ces dernières répercutant moins de 20 % de la hausse sur leurs clients du retail, ressort-il de l’enquête. Dès lors, l’AIM profite de la publication de son baromètre pour rappeler que l’impact sur les prix à la consommation est relayé par le secteur du commerce de détail, qui est le seul responsable de la fixation de ces prix. L’association européenne des marques rapporte ainsi que 96 % des fabricants sondés ont vu les retailers augmenter le prix à la consommation de leurs produits. Plus étonnant, 28 % d’entre eux affirment que le prix à la consommation a été augmenté à un niveau supérieur à l’augmentation des prix appliqués par les fabricants aux retailers. Cette dernière affirmation contraste évidemment fortement avec les reproches régulièrement formulés par les détaillants à l’égard des marques qui gonfleraient leurs prix dans des proportions injustifiées.

 “Les détaillants sont en position de force pour fixer tous les prix à la consommation pour chaque produit présent dans leurs rayons, ils fixent donc les prix de leurs propres marques de distributeur et les prix à la consommation de nos marques A”, souligne Michelle Gibbons.  “Par conséquent, ils décident d’augmenter ou non le prix des marques nationales afin d’inciter les consommateurs à acheter leurs propres marques de distributeurs. Ce pouvoir est entre leurs mains, pas les nôtres. Cela a manifestement porté ses fruits puisqu’un retailer comme Colruyt a encore récemment annoncé des bénéfices record…”

 “Les fabricants soutiennent directement les consommateurs”

 “Bien que nous ne fixions pas les prix à la consommation (…) les fabricants de biens de consommation soutiennent directement les consommateurs et les ménages, non seulement en absorbant l’augmentation des coûts de production pour garantir l’approvisionnement, mais aussi en proposant des promotions sur les produits (et ce) afin que les ménages sous pression puissent continuer à profiter des marques qu’ils aiment”, insistait la directrice générale de l’AIM au moment de la publication du baromètre début octobre. Pour Gondola, Michelle Gibbons a étayé ses affirmations par quelques chiffres évocateurs.  “Les marques financent les promotions en versant des commissions aux retailers, ce que l’on appelle la ‘commercial cooperation’ ou ‘back margin’. Si vous analysez les résultats financiers de Carrefour par exemple, qui sont disponibles publiquement, les créances commerciales correspondent pour la plupart à des ristournes et à des revenus commerciaux à recevoir des fournisseurs. On constate qu’en 2021, les fournisseurs ont versé à Carrefour 949 millions d’euros au titre du soutien aux promotions. En 2022, la barre du milliard d’euros a été franchie, les fabricants ayant versé 1,2 milliard d’euros à l’enseigne française pour des activités promotionnelles. Cela représente une augmentation de 26 %, soit 251 millions d’euros de plus, et ce, pour un seul retailer. Faites le calcul de ce type de soutien aux consommateurs dans toute l’Europe et vous verrez que les fabricants soutiennent bel et bien les consommateurs !”

Soulignons au passage que cette stratégie permet également aux marques A de contrer le phénomène actuellement très marqué du downtrading.  “Nous vendons davantage de kilos (de café, NDLR) avec des promotions que l’an dernier et notre poids promotionnel est plus important”, nous expliquait encore récemment Eric Senger, directeur commercial retail chez Cafés Charles Liégeois, dans la dernière édition de notre magazine.  “Renforcer notre stratégie promotionnelle nous a vraiment permis de garder nos consommateurs. Je pense néanmoins que la situation va continuer à être tendue et que les PL (Private Labels, NDLR) vont encore gagner du terrain. De nos jours, il faut de plus en plus batailler pour conserver la fidélité du consommateur”, ajoutait-il.
Par ailleurs, Michelle Gibbons rappelle également (et met en garde) que les marques disposent d’un autre atout dans leur manche.  “La promotion est un aspect important, mais il ne faut pas oublier que, même si les ménages sont soumis à une forte pression, les consommateurs aiment nos marques et entretiennent avec elles des relations de confiance de longue date. Ils sont également astucieux et veulent prendre leurs propres décisions. Nous avons vu récemment en Allemagne que lorsque les retailers ont retiré nos marques A, les consommateurs ont non seulement réagi négativement sur les réseaux sociaux, exprimant leur frustration et rappelant aux enseignes que c’était leur choix de payer ou non plus cher pour des marques qu’ils aiment, mais ils ont également pris l’initiative de faire connaître les magasins dans lesquels nos marques n’avaient pas été retirées.”

 “Il y a beaucoup d’accusations inutiles qui sont lancées…”

Force est pourtant de constater que lorsque les prix augmentent, les regards accusateurs se tournent généralement vers les marques, beaucoup moins vers les retailers. Les fabricants souffraient-ils d’un manque de transparence à ce niveau dans le secteur ?  “Je le pense, oui. Et nous avions déjà tenté de remédier à cela dès 2020 au travers de plusieurs publications. Par ailleurs, c’est également pour cette raison que nous avons lancé notre baromètre annuel de l’industrie des biens de consommation, pour obtenir des faits qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement, qui est particulièrement complexe, et de l’industrie. Il y a beaucoup d’accusations qui sont lancées et qui, à notre avis, ne sont pas utiles, car elles ne font qu’embrouiller les consommateurs et induire le public en erreur avec de petites phrases simplistes qui ne sont même pas fondées. Une transformation massive est en cours dans l’ensemble de nos chaînes de valeur : investissements et innovations en faveur de la durabilité, mise en œuvre de systèmes de suivi et de traçabilité dans le cadre de la due diligence, numérisation, etc. Il y a tant de changements à venir qui nécessitent une approche collaborative de la part de tous...”

Enfin, il est également ressorti du récent baromètre de l’AIM que la compétitivité de l’Europe resterait un défi au cours des 12 prochains mois, dans la mesure où 20 % des entreprises interrogées prévoient de réduire l’emploi, que 17 % d’entre elles prévoient de diminuer leurs investissements et que 15 % n’investiront pas ou moins en recherche et de développement. Pour l’association européenne des marques, l’explication à cette frilosité est sans doute à aller chercher dans les récents résultats des entreprises européennes : 26 % ont vu leurs ventes baisser, 55 % ont vu leurs bénéfices diminuer et 42 % ont perdu des parts de marché.  “Les fabricants de biens de consommation s’efforcent de trouver le bon équilibre entre la garantie pour les consommateurs de disposer de leurs marques de confiance et appréciées, la garantie d’entreprises saines en Europe opérant dans une chaîne d’approvisionnement équitable, le paiement de prix justes à nos propres fournisseurs en amont et la poursuite de la transition vers l’économie verte”, conclut Michelle Gibbons.